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Malgré des nuances assez nombreuses, la tendance commune des théologiens allemands qui défendent l’idée de la kénose, est manifeste, « Il s’agit, dit M. Astié, tout en conservant les formules trinitaires concernant le Logos, d’arriver à faire droit aux exigences de la conscience chrétienne moderne, qui réclame impérieusement que la vraie humanité du Christ soit complètement sauvegardée. On est bien assez de son temps pour reconnaître en Jésus, non pas uniquement une nature humaine abstraite, mais un vrai individu historique et concret ; néanmoins, comme l’on ne se sent pas libre à l’égard des formules trinitaires sur l’essence de Dieu, on maintient toujours que c’est bien un être divin, concret et conscient qui s’est incarné dans la personne de Jésus de Nazareth. Toutefois, comme la tentative de réunir ainsi en une seule personne, avec un seul moi, deux êtres différents, d’ailleurs concrets et conscients, n’avait réussi ni au Moyen-Age, ni au xviie siècle, on essaye d’une autre méthode : on cherche à diminuer autant que faire se peut, la part de l’être divin concret. C’est ainsi qu’on nous dit que le Logos divin conscient s’est dépouillé de plusieurs attributs conscients, pour devenir homme et se soumettre aux lois d’un développement humain concret. Mais comment un être divin, concret et conscient, peut-il cesser d’être conscient et devenir homme ? Comment peut-on concevoir qu’un être concret et conscient devienne un autre individu concret et conscient ? Évidemment, ce devenir ne peut consister que dans l’adjonction d’attributs nouveaux venant s’ajouter aux anciens qui seraient toujours maintenus. Car il ne peut être question d’un devenir absolu en vertu duquel on cesserait d’être ce que l’on était auparavant pour devenir autre chose : toute identité ayant disparu, le second personnage n’aurait rien de commun avec le premier. Aussi, ne comprend-on pas comment Hofmann et Gess qui entendent ainsi la kénose, peuvent encore parler d’une divinité de Jésus-Christ. Le Logos s’étant bien complètement changé en homme (fait que nous avouons d’ailleurs ne pas comprendre), nous en avons fini avec la divinité, il ne saurait plus être question de statuer sa présence dans la personne de Jésus. Comment pourrait-il y être encore en qualité de Dieu, alors que vous avez commencé par le changer en homme ? »

Un théologien distingué de Halle, M. Beyschlag, a pensé donner réponse aux principales difficultés soulevées par les solutions nouvelles, en soutenant que la préexistence du Christ n’avait pas été personnelle, mais idéelle, sans toutefois cesser d’être réelle. Nous emprunterons à M. Astié le compte-rendu de cette opinion que l’auteur a établie sur une discussion approfondie des textes du Nouveau-Testament.

« Ordinairement, dit Beyschlag, quoique d’une manière peu claire (car en réalité on ne peut se faire aucune idée de la chose), voici comment on se représente la préexistence du Christ. On place tout simplement la personne historique du Christ dans la vie éternelle du Père. De sorte que le type préexistant (le Fils éternel) aurait été une person-