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opposé, le formalisme, dont il a été parlé plus haut ; car lui aussi est très-propre à cacher ou à déguiser, sous l’apparence d’une fausse profondeur, tous les vices de la pensée, le vague et le vide des conceptions. D’une part, la rapidité superficielle, de l’autre, la lourdeur ou la pesanteur (Schwerfälligkeit), l’obscurité, calculée ou non, d’une diction abstraite hérissée de formules. Nous avons déjà vu ce que l’auteur pense à ce sujet, comment il entend « la vraie popularité » du langage scientifique et philosophique. Il s’y étend longuement et fait remarquer que cette condition tient plus qu’on ne croit au fond même de la pensée et des doctrines. Nous sommes trop de son avis pour ne pas lui donner pleinement raison. Quand c’est un Allemand qui parle ainsi, ce n’est pas à un Français de le contredire.

Quelle sera la méthode ? L’auteur, on l’a vu, admet en principe ce qui est la base de la philosophie hégélienne, l’idée et la dialectique de l’idée comme reproduisant la marche interne des choses et les lois de la pensée. Mais il est un point grave sur lequel il se sépare du chef de cette école et modifie sa doctrine. — Nous devons le préciser.

Le vice radical de la dialectique hégélienne, selon M. Schasler, c’est qu’elle ne tient pas compte de l’imperfection du langage humain qui sert d’instrument à la pensée, de la disproportion qui existe entre l’idée et l’expression de l’idée. L’idéalisme absolu suppose l’identité parfaite de la pensée humaine et de la pensée divine, de ses lois et des lois que réfléchit l’univers physique et moral. En cela, il se trompe. Il y a entre les deux termes un intermédiaire dont la nature n’a pas été assez observée : le langage. La pensée universelle ou absolue, quand elle devient la pensée humaine, traverse la parole, organe nécessaire de l’intelligence, instrument de toutes les opérations de l’esprit. Sans doute, l’idée est le fond des choses, la raison est immanente à l’univers, elle l'est aussi à l’esprit ; les lois de la réalité sont les lois de la pensée. Mais l’idée en passant par le langage humain s’altère et se corrompt ; elle perd de sa clarté, de sa pureté, de sa vérité. Elle s’empreint de toutes les erreurs inhérentes à la faiblesse humaine. Le langage n’est que « relativement adéquat à la pensée; il lui est simplement analogue. » Il y a entre les deux termes disproportion (Incongruenz). C’est ce qui fait que la dialectique a tort de se confier dans l’infaillibilité de ses formules. Cette méthode qui suppose la marche des choses absolument conforme à la marche de la pensée et aux procédés de la raison humaine est exposée sans cesse à se tromper ; car elle est entachée d’un vice radical qui la suit partout, qui fausse ou altère