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dans cette fraction des philosophes qui, persistant dans leur dédain pour la méthode des sciences positives, ne veulent pas voir que l’évidence de bon nombre de leurs résultats est aussi bien établie que celle de n’importe quel théorème de la géométrie, et qu’ainsi la certitude n’est pas uniquement attachée aux propositions que l’homme s’imagine tirer de son cerveau.

Ce problème, comme on le voit, se lie intimement avec celui de l’origine de la certitude, et en est une dépendance naturelle. C’est cette origine que nous allons examiner.

Le débat, ramené à ses termes les plus simples, porte sur l’opposition de ces deux propositions fondamentales : On ne peut tout démontrer ; on peut tout démontrer. Il est bien entendu que la possibilité dont il s’agit ici est idéale, absolue, et non pas nécessairement actuelle, effective. Comme nous le ferons encore voir plus tard, aucune de ces deux propositions ne renferme de contradiction intime. En effet, ceux qui soutiennent qu’on ne peut tout démontrer ne sont pas tenus de donner une démonstration de leur principe fondamental ; il leur suffit de le ranger parmi les propositions indémontrables. D’un autre côté, ceux qui croient qu’on peut tout démontrer, admettent naturellement que cette proposition elle-même est sujette à preuve, et que les procédés de démonstration qu’ils regardent comme valables lui sont applicables. À première vue cependant, leur thèse paraît beaucoup plus difficile à défendre. Où est la vérité ?

Ceux qui sont d’avis qu’on ne peut tout démontrer sont invinciblement conduits à admettre qu’il y a un certain nombre de propositions indémontrables, vérités a priori, évidentes par elles-mêmes, et transmettant leur évidence aux conséquences qu’on en tire. Mais ils sont tenus, s’il en est ainsi, de dresser le catalogue de ces prétendus axiomes qui ne peuvent être bien nombreux, ou, tout au moins, de dire à quel caractère on les reconnaît. Or ce catalogue n’a jamais été dressé, même pour une science déterminée[1]. Savent-ils au

  1. C’est ainsi qu’en géométrie la proposition que la droite est le plus court chemin d’un point à un autre est généralement considérée comme un axiome, tandis que la proposition qu’entre deux points on ne peut tirer qu’une ligne droite, pour les uns, est un axiome, pour les autres, un théorème dont il faut chercher la démonstration. Le postulatum d’Euclide, au contraire, susceptible d’être énoncé de bien des façons, qui toutes reviennent à la suivante que par un point on ne peut mener qu’une parallèle à une même droite, est généralement regardé, non comme un axiome, mais comme un théorème plus ou moins récalcitrant à la démonstration. Pourquoi ? en quoi cette proposition diffère-t-elle de la première ou de la seconde ? Personne jusqu’à présent n’a pu le dire. Qu’il me soit permis d’ajouter que dans mes Prolégomènes de la Géométrie je donne la démonstration du postulatum, ainsi que des deux propositions sur la