Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
revue philosophique

ici dépassé le but comme tout à l’heure il est resté en deçà avec Platon ? Aristote n’a laissé aucun monument spécial sur la science du beau et la philosophie de l’art. Rien dans ses écrits, qui nous sont parvenus, n’est à comparer au Phèdre et au Banquet. Sa Poétique est un traité particulier et encore une ébauche dont la tragédie à peu près seule est l’objet. Elle a exercé, sans doute, une grande influence, pas toujours très-salutaire, sur le théâtre moderne. Mais sur les principes mêmes et la métaphysique du beau et de l’art, Aristote ne peut être comparé à Platon : sa trace est beaucoup moindre dans l’histoire. Sur le beau, l’art, les différents arts, il faut extraire ses opinions de quelques lignes éparses dans la Métaphysique et les Problèmes ou des passages de la Politique (VI et VII), où la musique est envisagée par rapport à l’éducation. Comment avec de tels matériaux reconstruire toute une esthétique péripatéticienne ? C’est pourtant ce qu’a fait M. Schasler. Le monument qu’il élève à Aristote, dans son histoire, est complet. Il n’y manque rien. Tout y est déterminé, précisé, coordonné : le point de vue général et la méthode, l’idée du beau en général, les différents genres de beauté, la beauté formelle, la beauté concrète, la beauté morale ; le beau dans les arts, l’apparence artistique, l’imitation et le principe d’imitation, l’imagination, etc. Puis, vient le système des arts, leur nature et leur coordination, chaque art en particulier, la poésie et ses espèces, le drame, la tragédie, la comédie, la poésie lyrique. Après cela, nous avons la musique, la danse et les arts du dessin, l’architecture, la sculpture et la peinture, enfin le rapport de l’art à la vie humaine et à l’éducation. Tout cela est traité en grand détail. Le contraste avec Platon est complet. L’auteur s’en est aperçu. Il s’en tire fort spirituellement. « La belle rhétorique de Platon, dit-il (p. 122), dans son luxe exubérant, avec ses phrases mystiques, a sans doute engagé son successeur à être d’autant plus bref et même plus sec. Quelques mots significatifs lui ont suffi pour marquer l’essentiel. » Si cela est, il semble que l’historien aurait dû imiter un peu plus son modèle, au lieu de faire à son tour l’antithèse inverse. Loin d’être sobre, il s’est cru obligé d’approfondir, d’expliquer, de commenter, de développer, de conclure, de construire et de systématiser ; il fait parler longuement Aristote là où il est resté muet pour nous ou très peu explicite. Il n’a pas vu qu’alors il n’était plus historien, que l’œuvre qu’il entreprenait était sinon celle d’un commentateur et d’un érudit, en tout cas, une œuvre systématique. Encore dans cette reconstruction, il est exposé à fausser son. modèle, à prêter à Aristote des idées trop modernes, à lui faire parler un langage qui n’est pas le sien, et à revêtir sa pensée de formules hégéliennes. C’était le danger ;