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analyses. — brinton. The religious sentiment.

avait donné une esquisse de sa doctrine, en étudiant les religions des races aborigènes de l’Amérique, « champ qu’il avait choisi comme le plus favorable, à cause de la simplicité des cultes et de l’absence de théories à leur sujet. » Dans son nouvel ouvrage, il généralise ses vues en les appliquant aux religions historiques de l’ancien monde.

Quelques postulats lui servent de point de départ ; les voici : les religions sont un produit de l’esprit humain ; il y a entre elles communauté de nature et de but ; elles doivent être étudiées suivant la méthode des sciences naturelles.

M. Brinton commence par une étude approfondie du sentiment religieux et de ses deux éléments essentiels : l’émotion et l’idée.

En ce qui concerne l’élément affectif, l’émotion, l’auteur nous paraît d’accord avec les principales opinions qui ont cours dans l’École anglaise contemporaine ; la corrélation complète de l’esprit et de l’organisme ; le plaisir résultant d’une action continue et produit par une sélection naturelle[1]. En s’appuyant sur ce dernier fait, M. Brinton combat les religions pessimistes (Boudhisme). — L’élément affectif prédomine dans les formes primitives du sentiment religieux ; l’idée est reléguée au second plan ; et entre toutes les émotions, celle de la crainte l’emporte ; avec elle l’espoir, le souhait. Aussi dans cet état, l’aspiration religieuse est définie par lui : « Un souhait dont l’accomplissement dépend d’une puissance inconnue. » Il nous montre le rôle capital que l’amour sous toutes ses formes a joué dans les conceptions religieuses (amour pur, amour sexuel, divinités hermaphrodites. Vierges-mères, etc.).

L’étude de l’élément intellectuel mérite de nous arrêter plus longtemps : elle constitue la partie la plus originale et la plus philosophique de l’ouvrage. L’auteur se sépare ici, à beaucoup d’égards, de la psychologie régnante de son pays, et demande à une étude logique des formes de la pensée, des éclaircissements sur la nature des conceptions religieuses. Il est impossible, dit-il, d’admettre que la religion soit « une simple affaire de sentiment » car, à ce compte, comme le disait Hegel : « un chien fidèle serait le meilleur des chrétiens. » Mais l’élément intellectuel qui se mêle aux émotions, quel est-il ? — Sans suivre M. Brinton dans ses remarques sur les diverses lois de l’intelligence (loi d’association, etc.), arrêtons-nous à celle qu’il nomme : Les formes du raisonnement exact. Il y en a trois : la loi de détermination (A est A) ; la loi de limitation (A n’est pas non-A) et la loi du milieu exclu (A est B ou non-B). Cette dernière « est la clef de voûte du sentiment religieux. » — L’auteur s’appuyant ici sur les thèses de Hamilton et sur des travaux encore plus récents de logique mathématique dus à de Morgan, à Stanley Jevons, et surtout à Georges Boole, soutient que la construction de tout dogme religieux et de toute haute métaphysique, dépend de cette fameuse loi des contradictoires et du

  1. Sur ce point, voir en particulier Herbert Spencer, Principes de Pyschologie, tom. I, 2e partie, ch. ix.