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de philosophie l’épithète de scientifique. L’auteur veut dire qu’il n’admet pas pour son système métaphysique d’autre méthode que celle des sciences physiques ou mathématiques, et chacun sait qu’il n’en est pas ainsi pour tous les philosophes. En France notamment l’enseignement de la philosophie ne se fait-il pas hors des Facultés de sciences ? Mais même parmi les esprits qui voient dans la philosophie autre chose qu’un exercice littéraire, il en est certainement un grand nombre qui attribuent à la philosophie une méthode particulière, et l’on ne peut contester que certains systèmes fournissent des arguments à cette manière d’opposer les sciences à la philosophie. Il y a des théories qui non-seulement n’ont rien de scientifique, mais sont purement mystiques. Il y a des esprits qui éprouveront très-sincèrement pour une explication en psychologie, en métaphysique et surtout en morale, une répugnance d’autant plus vive que cette explication aura un caractère plus mécanique, plus mathématique, tandis qu’ils l’accepteront avec d’autant plus d’empressement qu’elle creusera plus profondément l’abîme entre les faits de l’intelligence et les faits du monde inorganique. L’expression de philosophie scientifique n’a pas d’autre sens que celui d’une protestation contre la doctrine de la diversité des méthodes, et il est bon surtout de l’employer à propos de la sensibilité, parce que c’est la partie de la métaphysique où les théories ont conservé le plus complètement jusqu’à notre époque un caractère de mysticité.

M. Delbœuf repousse avec raison la distinction de deux espèces de science, l’une fondée sur une méthode purement inductive, l’autre sur la déduction, l’une reposant sur des vérités de fait, l’autre sur des principes nécessaires à priori[1]. Toutes les sciences positives, depuis les mathématiques jusqu’à la logique et la psychologie, procèdent d’une manière uniforme : l’observation leur fournit des données ; par induction on s’élève à une généralisation hypothétique ; on vérifie enfin cette hypothèse au moyen de l’expérience ou de la démonstration[2]. Le passage de ce qu’on sait déjà à ce qu’on ne sait pas encore, se fait par une suite de raisonnements dont voici le type. Un objet A possède, à ma connaissance, les qualités a, b, c que nous supposons coordonnées, c’est-à-dire non dépendantes l’une de l’autre. Je lui découvre une nouvelle qualité d. Je me dis : cette qualité d est subordonnée aux qualités a, ou b, ou c, ou bien elle leur est coordonnée. Pour voir si elle dépend de a, cherchons un autre objet qui ait la qualité a et voyons s’il possède la qualité d. S’il ne la pos-

  1. Prolégomènes philosophiques de la géométrie, préface. — Essai de logique scientifique, prolég., p. XLII.
  2. Essai de logique scientifique, liv. I, ch. ii, § 3.