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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.


IV

Voyons maintenant ce que M. Delbœuf entend par la science particulière qu’il désigne, après Fechner, sous le nom de psychophysique.

Il distingue tout d’abord deux espèces de jugements :

1° Ceux qui sont la synthèse ou la conclusion consciente d’un nombre notable de jugements antérieurs conscients ;

2º Les jugements élémentaires, conscients, servant de base aux précédents, mais n’ayant eux-mêmes aucun fondement dans la conscience.

La psychophysique est la science de ces jugements élémentaires.

Ces jugements élémentaires sont eux-mêmes, suivant cet auteur, les conclusions de jugements inconscients. Ainsi une sensation de couleur sera un phénomène cérébral résultant de plusieurs autres phénomènes inconscients, qui seront, par exemple, des mouvements vibratoires. Nous préférons de beaucoup cette manière de voir à celle de plusieurs psychologues anglais, reproduite par M. Taine, d’après laquelle les sensations conscientes seraient non pas la conséquence, la résultante de jugements inconscients, mais leur somme, leur total. Nous comprenons bien que les phénomènes conscients puissent avoir pour cause des phénomènes inconscients ; mais nous ne pouvons admettre qu’on forme un composé conscient avec des zéros de conscience.

Si l’on admet la théorie de M. Delbœuf, d’après laquelle les sensations ont pour antécédents des faits inconscients, il faudra en tirer cette conclusion que ce que nous sentons, ce ne sont pas les impressions produites directement sur nos appareils nerveux par les objets extérieurs, mais des phénomènes qui se produisent dans le cerveau à la suite de ces impressions.

Voici quelques-uns des faits sur lesquels repose cette théorie : Pratiquez deux ouvertures dans le volet d’une chambre obscure, l’une B ne laissant passer que de la lumière blanche, l’autre R ne laissant pénétrer, grâce à une vitre colorée, que de la lumière rouge. Placez un corps opaque C sur le passage des rayons lumineux. Deux ombres b et r seront projetées sur la paroi : l’une b ne recevra aucun rayon rouge et sera en réalité blanche ou grisâtre ; l’autre r ne sera éclairé que par des rayons rouges. Or il arrive que cette dernière paraît en effet rouge sur la paroi, mais en même temps l’ombre b qui est réellement grise, paraît verte. Si nous ôtons la vitre rouge, cette ombre