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Aristote, dans l’éther cosmique la cause suprême de tous les phénomènes de l’univers éternel. En physiologie comme en psychologie, comme dans la physique du monde, Straton était arrivé à des vues d’une admirable justesse. Loin de placer dans le cœur le principe de la sensibilité, c’est dans le cerveau, entre les sourcils, qu’il situait le siège de la sensation et de l’entendement : là persistent les traces des impressions et des représentations sensibles sur lesquelles opèrent la mémoire, l’imagination et le jugement. Tous les actes de l’entendement humain sont des mouvements. Straton, qui ne considérait les pensées que comme des sensations transformées, établit parfaitement que, pour être perçues, les impressions de diverse nature, telles que la joie, la douleur, la crainte, la souffrance, etc., qui affectent nos sens, doivent être préalablement transmises à la « partie pensante, » et que, « si l’intelligence faisait défaut, la sensation ne pourrait absolument exister. » De ce principe, il tira non-seulement une théorie fort remarquable de l’attention ; à ce sujet aussi il fit quelques observations touchant les illusions des sens qu’on dirait empruntées à un Manuel de physiologie moderne : « Ce n’est pas au pied que nous avons mal, dit-il, quand nous nous le heurtons, ni à la tête quand nous nous la brisons, ni au doigt quand nous nous le coupons. Tout le reste de notre personne est insensible (ἀναίσθητα γὰρ τὰ λοιπά), à l’exception de la partie souveraine et maîtresse : c’est à elle que le coup va porter, avec promptitude, la sensation par nous appelée douleur. De même que la voix qui retentit dans nos oreilles mêmes nous semble être en dehors parce que nous confondons avec la sensation le temps qu’elle a mis pour parvenir de son point de départ jusqu’à la partie maîtresse, pareillement, s’il s’agit de la douleur résultant d’une blessure, au lieu de lui donner pour siège l’endroit où a été éprouvée la sensation, nous plaçons ce siège là où la sensation a son principe, l’âme étant entraînée vers ce point à l’instant qu’elle éprouve la douleur. C’est aussi pourquoi quand nous nous sommes heurtés, nous fronçons les sourcils, attendu que la partie maîtresse transmet vivement la sensation à l’endroit frappé. Toutefois nous retenons notre respiration, et si nous n’avons pas de liens pour serrer les parties qui souffrent, nous les comprimons fortement avec nos mains. Nous nous opposons ainsi à la transmission de l’effet produit ; nous cherchons à resserrer le coup dans les parties insensibles (ἐν τοῖς ἀναισθήτοις), afin qu’il ne se propage pas de proche en proche jusqu’à la partie pensante (πρὸς τὸ φρονοῦν) et que la douleur ne se produise pas[1]. »

  1. Plut., Utrum animœ an corporis sit libido et œgritudo. 4.