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j. soury. — histoire du matérialisme

moyennes du peuple, et par un travail obscur et lent, qu’ont lieu ces prodigieuses fermentations appelées révolutions sociales. Et de fait, l’avènement du christianisme et la décomposition de la civilisation gréco-romaine fut l’œuvre de la plèbe des villes et des campagnes. Les superstitions juives et syriennes, toujours méprisées par le païen d’une certaine culture, étaient depuis des siècles la source mystérieuse où se désaltéraient les pauvres et les esclaves des grandes villes. Si la religion de Jésus ou de Paul n’avait vaincu, une des nombreuses sectes du même genre qui pullulaient alors dans ce coin du monde l’aurait emporté. À ces foules d’affranchis ignorants et crédules, à cette tourbe d’esclaves, de soldats, de prolétaires, de petits marchands, presque tous indigents, mendiants, affligés, éternellement en lutte sourde ou déclarée contre la société, contre les maîtres, contre les riches, contre les heureux, à ces têtes exaltées par le jeûne et la misère, à ces esprits faibles tourmentés de visions et affamés de croyance, il fallait une religion d’amour et de charité, de purification et de renoncement, des symboles et des cérémonies très-simples qui de tous les malheureux feraient des frères, une foi inébranlable dans le salut, dans la délivrance prochaine de l’humanité souffrante par un Sauveur des hommes ! Ce fut là tout le christianisme primitif. La religion nouvelle avait vaincu depuis longtemps, que les empereurs lançaient encore des édits contre elle et que les philosophes essayaient d’en ruiner les fondements dogmatiques. Eh ! que peuvent contre la religion le droit public et la philosophie ? Ceux qui ont besoin de croire et d’aimer, s’inquiètent-ils de l’arsenal des lois et des arguments de l’école ? Qu’est-ce qu’un jurisconsulte et un métaphysicien pour le misérable esclave, pour le pauvre homme affligé, dédaigné de tous, replié sur lui-même, qui nuit et jour s’entretient de ses rêveries ou de ses hallucinations, et n’espère rien d’un monde qu’il n’a va que du dehors, avec l’effarement d’un sauvage ou l’horreur d’un moine de la Thébaïde !

Le monde devenu chrétien, il y aurait quelque naïveté à demander ce que devinrent la science et la philosophie. Un des mérites de Lange, c’est d’avoir bien montré que la science n’a pas eu de pires ennemis que les religions monothéistes, — le judaïsme, le christianisme, l’islam. Les études d’histoire et de critique religieuses sont jusqu’ici demeurées si étrangères à la plupart des historiens de la philosophie que, sous le nom de religion, on confond les concepts les plus différents, voire les plus contraires. Il est vrai que la religion des races aryennes n’a pas plus empêché dans la Grèce que dans l’Inde la croissance hâtive de l’un des plus prodigieux développements de la science et de la philosophie. Mais là où les religions