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tion doit naître celle de perfection, non de perfection relative, comme celle qu’il propose en réalité, mais de perfection absolue. L’idée d’obligation est la seule qui nous autorise à parler de l’absolu, qui nous donne accès dans les domaines de la métaphysique, qui nous force à concevoir la liberté et la raison infinies, l’achèvement complet de notre personnalité, comme le terme réel de notre activité. Les actes moraux de l’homme, dans les conditions présentes, ne peuvent être, sans doute, que des manifestations imparfaites de cette raison et de cette liberté absolues dont nous nous sentons capables ; mais ils empruntent une valeur infinie de cette participation à une vie supérieure dont ils sont les symboles, et, en ce sens, ils nous obligent. En d’autres termes, ce qui constituerait un acte de vertu, ce serait d’abord un acte de foi en la possibilité, en la nécessité, dans d’autres conditions, de l’achèvement total de notre personnalité, en la réalité future de la perfection déjà entrevue, et ensuite un effort de bonne volonté pour se rapprocher déjà le plus possible de cette perfection, pour la représenter dès cette vie.

Nous ne pouvons qu’indiquer ainsi et la méthode que devrait suivre la morale rationnelle, et les résultats auxquels cette méthode conduirait. De cette manière on opposerait à la doctrine utilitaire, à ses prétentions scientifiques, une théorie de la morale fondée sur les raisonnements les plus rigoureux et d’une valeur scientifique incontestable. Peu importe en effet comment et à quelle époque l’idée d’obligation serait entrée dans l’esprit humain ; ou plutôt comment et à quelle époque elle aurait acquis toute sa clarté. Le fait seul de sa présence actuelle dans l’esprit rend nécessaires les déductions logiques que nous avons indiquées, comme les notions mathématiques rendent nécessaire tout le développement de la science. La morale abstraite plane au-dessus des faits qu’elle permet de juger, comme la géométrie au-dessus de la réalité.

Le défaut de rigueur, que nous avons relevé dans le livre de M. Carrau, ne nous empêche pas d’apprécier tout le mérite de cette seconde partie où il expose à sa manière la doctrine rationnelle. Nous pourrions signaler plusieurs pages, en particulier sur les sanctions de la loi morale, où il atteint à une grande élévation, parfois à une véritable éloquence et où il s’éloigne peu, nous devons le reconnaître, de ce qui nous paraît le vrai. M. Carrau s’est assuré une place distinguée dans une école de moralistes, qui se sont fait une réputation méritée par la noblesse de leurs sentiments et l’art de leur donner, en les exprimant, une valeur singulièrement communicative.

Ces qualités ont sans doute une grande importance. L’influence des théories philosophiques a plus de portée qu’on ne pense quelquefois. Les empiriques, en essayant d’analyser des idées qui nous paraissent irréductibles, surtout en dépouillant de son véritable caractère l’idée d’obligation, ne semblent pas craindre de diminuer la moralité dans le monde ; ils comptent peut-être sur la force des choses, sur la solidité