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E. de Hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt

rence est connexe à la théorie de Frauenstaedt consistant à nier à la volonté le pouvoir de vouloir, et me rapproche plus que lui du point de vue de Schopenhauer. Mais ici on se demande comment Frauenstaedt, en changeant ainsi les fondements métaphysiques de l’éthique de Schopenhauer, a résolu le problème pratique fondamental de la métaphysique. Il est évident qu’il a complètement échoué dans cette solution, parce qu’il n’a pas renoncé à une fausse doctrine de Schopenhauer liée inséparablement à une autre rejetée par lui-même et qu’il devait donc répudier également. Je veux parler de cette assertion que la responsabilité morale intérieure (qu’il ne faut pas confondre avec la responsabilité extérieure, envers les lois de l’état et le tribunal de l’opinion publique) repose sur la liberté de la volonté indéterministe, subsiste et tombe avec elle.

Schopenhauer pouvait s’adonner à cette illusion, puisqu’il croyait à la liberté indéterministe transcendantale de l’individu (en contradiction avec son monisme), mais Frauenstaedt devait reconnaître que la responsabilité morale intérieure est un fait indiscutable de la conscience morale, et que lui donner pour fondement la liberté transcendantale, c’était nécessairement s’exposer à se tromper, du moment où la liberté transcendantale était reconnue être une erreur. Au lieu de cela, il s’attache fermement à cette erreur métaphysique et en tire la conséquence que la responsabilité morale intérieure de l’individu est une illusion sans fondement. Ainsi il mine les bases de la morale, car s’il maintient au caractère la faculté de s’améliorer, il enlève toute possibilité de travailler à cette amélioration par une discipline sérieuse et morale, sous le stimulant d’une impulsion morale intérieure. Sans doute le jugement moral subsiste encore, mais il perd toute valeur pratique, toute influence réelle, car si on supprime le sentiment de la responsabilité, nous cessons de nous faire le reproche intérieur de n’avoir pas mieux agi et nous ne nous sentons plus poussés à accomplir nos obligations morales. Frauenstaedt a heureusement rompu avec tous les préjugés de l’indéterminisme ; un seul lui est resté et celui-là a suffi pour le mettre dans l’impossibilité de résoudre le problème moral. Et cependant il aurait dû lui venir à l’esprit de rechercher, à la lumière delà critique, si réellement la responsabilité reposait uniquement sur la liberté indéterministe qui présuppose l’aséité. Probablement il aurait alors trouvé, comme moi[1], que les formes de la liberté intérieure subsistant sur le terrain du déterminisme suffisent parfaitement dans leur ensemble pour servir de base psychologiques au sentiment de la responsabilité,

  1. Comparez mon traité « La liberté morale, » Atheneum (1876), nos 1 et suiv. La Philosophie de l’Inconscient ne pouvait pas, à cause de l’abondance des matières, offrir des indications suffisantes sur les questions de la morale.