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plus récents disciples de Herbart[1], si nous prenons un sentiment tel que l’affliction causée par la perte d’un ami, l’idée de cet ami est prise « comme dans un étau » entre deux idées : celle de sa mort qui tend à produire un arrêt, celle de ses bienfaits qui tend à un effet contraire.

Herbart loue beaucoup la division (due à Kant) des émotions en deux classes : 1° les émotions excitantes (rüstige), telles que la joie et la colère ; 2° les émotions déprimantes (schmelzende) comme la frayeur et la tristesse. Il définit les premières : « des émotions qui font entrer dans la conscience un quantum de représentation réelle plus grand qu’elle n’en peut contenir ; » et les secondes : « des émotions qui chassent de la conscience un quantum de représentation supérieur à celui qui devrait l’être en vertu de la nature même de ces représentations[2]. »

Quant aux désirs (Begehren) dont Herbart forme un groupe qui contient les penchants, les passions et la volonté (celle-ci est le désir tendant à une fin morale), ils sont définis de la manière suivante : « Le désir est la prédominance d’une représentation qui lutte contre les obstacles et par là détermine en ce sens les autres représentations. »

Toute passion a pour base une représentation dominante : là où la représentation de l’objet désiré n’est pas maîtresse, il n’y a pas passion. La force de la passion, cette tendance irrésistible qui la caractérise consiste dans cet effort continuel de la représentation dominante — ou plutôt du groupe des représentations qui se rapportent à l’objet de la passion — contre cet arrêt continuel qu’elle subit dans la conscience. La passion naît d’une masse de représentations démesurément intenses, mal liées, qui se mettent en opposition avec les combinaisons régulières de représentations. En langage métaphorique, cela s’appelle l’antagonisme de la passion et de la raison ; mais, comme on le voit, il n’y a pas là deux facultés, deux entités qui s’opposent l’une à l’autre. « Les passions sont des tendances au désir, qui ont leur base dans l’entrelacement des représentations. Ce sont des tendances et non pas des actes : et c’est ce qui explique pourquoi il y a non-seulement des passions, mais des natures passionnées. L’absence de civilisation et d’éducation favorise le développement de ces natures ; parce que plus les idées restent isolées, plus leur union est dépourvue de règle et d’ordre, plus chacune

  1. Lindner, p. 117. Lehrbuch der empirischen Psychologie.
  2. Nous ne donnons pas ici la classification détaillée des émotions d’après Herbart : cela nous entraînerait trop loin. Voir Lehrbuch zur Psychologie, 2e p., chap. 1 à 4.