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mouvements cellulaires aussi avancée que la physique des ondulations éthérées ; supposez que l’on sache le mécanisme du mouvement qui, pendant une sensation, se produit dans la substance grise, son circuit de cellule à cellule, ses différences selon qu’il éveille une sensation de son ou une sensation d’odeur, le lien qui le joint aux mouvements calorifiques ou électriques, bien plus encore, la formule mécanique qui représente la masse, la vitesse, et la position de tous les éléments des fibres et des cellules à un moment quelconque de leur mouvement. Nous n’aurons encore que du mouvement, et un mouvement, quel qu’il soit, rotatoire, ondulatoire, ou tout autre, ne ressemble en rien à la sensation de l’amer, du jaune, du froid ou de la douleur. Nous ne pouvons convertir aucune des deux conceptions en l’autre, et partant les deux événements semblent être de qualité absolument différente ; en sorte que l’analyse, au lieu de combler l’intervalle qui les sépare, semble l’élargir à l’infini.

III. — Repoussés de ce côté, il faut nous tourner d’un autre. À la vérité, nous ne pouvons concevoir les deux événements que comme irréductibles l’un à l’autre ; mais cela peut tenir à la manière dont nous les concevons, et non aux qualités qu’ils ont ; leur incompatibilité est peut-être apparente, non réelle ; elle vient de nous et non plus d’eux. Une pareille illusion n’aurait rien d’extraordinaire. Règle générale, il suffit qu’un même fait nous soit connu par deux voies différentes pour que nous concevions à sa place deux faits différents.

Tel est le cas pour les objets que nous connaissons par les sens. Un aveugle-né que l’on vient d’opérer demeure assez longtemps avant de pouvoir mettre d’accord les perceptions de son toucher et les perceptions de sa vue. Avant l’opération, il se représentait une tasse de porcelaine comme froide, polie, capable de donner à sa main telle sensation de résistance, de poids et de forme : lorsque pour la première fois elle frappe sa vue et lui donne la sensation d’une tache blanche, il conçoit la chose blanche et lustrée comme autre que la chose résistante, pesante, froide et polie. Il en resterait là, s’il ne faisait pas d’expériences nouvelles ; les deux choses seraient toujours pour lui différentes en qualité ; elles formeraient deux mondes entre lesquels il n’y aurait pas de passage. Pareillement, les yeux fermés et sans être prévenu, vous voyez un flamboiement, en même temps, vous entendez un son, et enfin vous avez dans le bras la sensation d’un coup de bâton ; essayez l’expérience sur un ignorant, ou sur un enfant : il croira qu’on l’a frappé, que quelqu’un a sifflé, qu’une vive lumière est entrée dans la chambre, et cependant les trois faits différents n’en sont qu’un seul, le passage d’un