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comme hanté. Elle devient parfois lumineuse, notamment lorsqu’il indique comment, au moyen de la détermination plus exacte des causes physiques, on renouvellerait l’astronomie et on la rendrait vivante, au lieu de la laisser morte et semblable « au bœuf rembourré » que Prométhée offrit aux dieux. En quoi consisterait cette détermination ? Il s’en est expliqué.

C’est à peine si quelqu’un jusqu’ici s’est occupé de.découvrir, en astronomie, les causes physiques, savoir : la substance des corps célestes tant stellaires qu’interstellaires ; la vitesse et la lenteur comparative de ces corps, les degrés de vitesse considérés dans une même planète… Il en faut dire autant de la cause qui maintient les planètes à une distance déterminée du soleil… L’astronomie devrait, pour garder son rang, se constituer elle-même comme la partie la plus noble de la physique. Car quiconque saura dédaigner la prétendue séparation des corps superlunaires d’avec les corps sublunaires, et bien apercevoir les appétits et les passions de la matière qui exercent une si puissante influence dans les deux mondes et qui pénètrent à travers l’immensité des choses, celui-là tirera des observations qu’il aura faites ici-bas de vives lumières sur les phénomènes célestes ; et, inversement, de ce qu’il aura observé dans les cieux, il tirera une foule de conséquences quant aux mouvements inférieurs, tant au point de vue de l’action des premiers sur les derniers, qu’au sujet des passions communes qui les animent[1]. »

Il n’est pas nécessaire de forcer l’interprétation des mots que j’ai soulignés pour en faire sortir le sens qu’ils contiennent. Incontestablement la matière des astres tant supérieurs qu’inférieurs n’est pas, aux yeux de Bacon, une substance passive. Les appétits et les passions dont il la dote ne peuvent être pris pour les états d’un sujet inerte qui subit des actions impulsives ou attractives sans jamais agir ni réagir ; ce sont, à n’en pas douter, des tendances à l’acte, des énergies plus ou moins actives et influant les unes sur les autres au. point d’imposer aux corps célestes des mouvements réguliers s’accomplissant à des distances déterminées, et de maintenir l’équilibre des mondes. C’est grâce à cette conception que Bacon passe à juste titre pour avoir entrevu la grande loi de la gravitation universelle. Mais son intelligence va plus loin que le fait et que la loi : elle indique la cause, et cette cause c’est une certaine puissance que possède la matière d’influencer et d’être influencée, nous dirions aujourd’hui une certaine force d’action et de réaction avec une sorte d’impressibilité. Or, une telle énergie, une telle susceptibilité interne ne sont

  1. De Augmentis, lib. III, c. IV, t. I, p. 175.