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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/17

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h. taine. — les vibrations cérébrales et la pensée

peut tenir aussi, d’abord à ce que l’événement, étant unique, nous est connu par deux voies absolument contraires, et ensuite à ce que l’événement mental et ses éléments derniers doivent forcément se présenter à nous sous des aspects absolument opposés.

Il y a donc place, et place égale, pour les deux hypothèses, pour celle de deux événements hétérogènes, et pour celle d’un seul et même événement connu sous deux aspects. Laquelle choisir ? — Si nous adoptons la première, nous sommes en face d’une liaison, non-seulement inexpliquée, mais encore inexplicable. Car, les deux événements étant irréductibles entre eux par nature, ils forment deux mondes à part, isolés ; nous excluons par hypothèse tout événement plus général dont ils seraient des formes distinctes et des cas particuliers ; nous déclarons d’avance que leur nature ne fournit rien qui puisse fonder leur dépendance réciproque ; nous sommes donc obligés, pour expliquer cette dépendance, de chercher au delà de leur nature, partant au delà de toute la nature, puisqu’ils font à eux deux toute la nature, par conséquent enfin, dans le surnaturel ; ainsi nous devrons appeler à notre aide un miracle, l’intervention d’un être supérieur. Les philosophes du dix-septième siècle, Leibniz et Malebranche en tête, avaient nettement aperçu cette conséquence et concluaient hardiment qu’il y a là une harmonie préétablie, l’accord artificiel de deux horloges indépendantes, un ajustement extrinsèque et venu d’en haut, un décret spécial de Dieu. — Rien de moins conforme aux méthodes de l’induction scientifique ; car elles excluent toute hypothèse qui n’explique pas, et, comme on l’a montré ailleurs, le principe de raison explicative est un axiome qui ne souffre aucune exception[1]. Nous voilà donc reportés vers la seconde supposition. D’abord en soi elle est aussi plausible que la première. De plus elle a pour elle les analogies et quantité de précédents ; car, ainsi que tant d’autres théories physiques et psychologiques, elle admet en ligne de compte le jeu d’optique, l’influence du sujet percevant et pensant, la structure spéciale de l’instrument observateur. En outre, comme elle ne fait intervenir aucune cause tierce, aucune propriété imaginaire ou inconnue, elle est aussi peu hypothétique que possible. Enfin elle montre, non-seulement que les deux événements peuvent être liés entre eux, mais encore que toujours et forcément ils doivent être liés entre eux ; car, du moment où ils se ramènent à un seul, doué de deux aspects, il est clair qu’ils sont comme l’envers et l’endroit d’une surface, et que la présence ou l’absence de l’un entraîne infailliblement celle de l’autre. Nous sommes donc autorisés à ad-

  1. Voir De l’Intelligence, livre IV, ch. III, 553.