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l’idée simplement comme le produit d’un organe matériel de l’intellect, et non comme un être métaphysique. Sans doute, de 1867 à 1872, son point de vue dans cette question a subi une certaine modification, sous l’influence de la position qu’il a prise relativement à la philosophie de l’Inconscient, et il semble avoir acquis la conviction qu’on peut parfaitement appliquer le nom d’idée au contenu inconscient de la volonté, pourvu seulement qu’on écarte de ce concept la forme sensorielle de la perception consciente. Même dans cet état des choses, il reste encore deux différences fondamentales entre le point de vue de Bahnsen et le mien : d’abord, il prend l’idée aussi bien que la volonté dans un sens individualiste et non moniste ; en second lieu, il refuse de lui concéder un caractère logique. Le fractionnement pluraliste de l’idée absolue en substances de volonté innombrables et indépendantes ou de monades caractérologiques, anéantit l’unité idéale du monde, outre qu’il détruit la possibilité d’un enchaînement logique du système universel. En maintenant la subordination de l’idée à la volonté, en abaissant cette dernière à l’état de contenu caractérologique de l’instinct aveugle et dénué de raison, il dépouille l’idée individualiste de sa nature logique et élève la déraison de la volonté aveugle, en particulier comme en général, à l’état de principe unique du monde. Si le principe formel du processus universel ne doit plus être le logique mais l’illogique, il faut qu’on trouve une autre expression positive pour la forme irrationnelle de ce processus : comme telle se présente l’appellation dialectique qui a déjà été employée par Hegel, dans le sens d’antilogique. Sans doute Bahnsen ne veut pas parler d’une dialectique des concepts mais des réalités, et pour exclure tout à fait la pensée d’une simple dialectique abstraite du concept, il emploie avec prédilection l’expression Realdialektik. Il précise même le contraste entre nos positions réciproques à l’égard de Hegel, en repoussant dans ce philosophe ce que je maintiens (le logique) et en maintenant ce que je repousse (le dialectique)[1].

La répugnance de Bahnsen à regarder le logique de l’idée comme principe métaphysique et à admettre l’unité métaphysique de tout ce qui existe, produit en lui une vive antipathie contre le concept d’un développement cosmique. Il est inutile de dire que la négation d’une substance une et universelle du monde et de la constitution logique de l’idée absolue enlève tout support et toute direction à un développement cosmique et par conséquent le rend impossible sous tous les rapports. Ces indications suffiront préalablement à

  1. Cf. Histoire de la philosophie, p. 1 et 2.