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bouillier. — de la règle des mœurs.

il y en a, sans aucune religion, sans la foi en un Dieu d’une certaine sorte, seront-ils tenus dans le respect d’eux-mêmes, dans l’ordre et le devoir ? Ne craignons donc pas de retourner la maxime et de dire, tout au contraire, que rien ne nous oblige, au moins d’une manière directe et immédiate, si ce n’est ce qui est humain, véritablement humain, dans le sens éminent que nous venons de déterminer.

Qu’on veuille bien prendre garde que nous considérons ici seulement ce qui fait l’essence de la morale, le fondement même sans lequel la morale n’existerait pas, et non les forces auxiliaires, les sentiments accessoires dont elle peut avoir besoin pour la plus grande et la plus sûre efficacité de ses maximes. Si nous mettons l’homme à la base, nous n’excluons nullement l’idée de Dieu comme principe suprême, comme faîte et couronnement. Comment, d’ailleurs, pourrions-nous l’exclure, sans la plus manifeste inconséquence ? Cette nature dans laquelle la loi morale est, pour ainsi dire, incarnée, s’est-elle donc faite toute seule ? est-elle notre ouvrage ? L’auteur de l’homme pouvait-il donc nous parler d’une manière plus intelligible, avec une autorité plus immédiatement reconnue et sentie, que par l’intermédiaire même de la nature qu’il nous a donnée ? Hors de là, hors de cette manifestation par la voie de notre nature, je cherche en vain un seul motif d’obligation qui ait la même évidence, la même solidité, la même autorité. Plus nous mettons cette formule à l’épreuve, plus nous la tournons et la retournons dans tous les sens, plus nous nous assurons qu’elle suffit à tout, qu’elle rend compte de tout, d’abord dans la morale individuelle, puis, par voie de déduction et de conséquence, dans la morale sociale. Ce que nous avons à respecter dans les autres, n’est rien autre que ce que nous avons à respecter en nous ; l’aide que nous devons aux autres correspond à ce que nous avons à développer en nous, à savoir notre nature propre et notre dignité. La morale sociale n’est que la morale individuelle transportée du dedans au dehors, passant, pour ainsi dire, de l’état subjectif à l’état objectif, de la forme de l’homme donnée par la conscience à son image aperçue au dehors.

Par là se comprend et s’explique à la fois ce qu’il y a de fixe et ce qu’il y a de variable dans la morale. Il ne se peut pas que l’obligation morale ne soit pas en proportion de la révélation de l’homme à lui-même, de l’idée que l’homme se fait de lui-même. Plus il a clairement conscience de ce qu’il est, de sa nature propre, de sa dignité, et plus elle va en croissant s’épurant. Mais il y a un minimum de conscience de ce que nous sommes, un minimum de conscience morale qui jamais, croyons-nous, n’a fait défaut à personne en ce