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E. de hartmann. — un disciple de schopenhauer

accomplissait le processus comme Être absolu (ce qui d’ailleurs implique déjà une contradiction) l’analogie avec le processus de l’éducation serait inapplicable ; il n’en est pas de même s’il accomplit le processus comme Être dépouillé de son caractère absolu, c’est-à-dire comme une totalité d’existences individuelles ou d’identités. Comme le progrès du processus universel consiste dans le développement de la conscience et que ce développement peut être seulement atteint par le perfectionnement des individus (animaux, hommes, peuples, états, etc.), le processus universel est en réalité un processus complètement pédagogique. Certainement cela présuppose (ce qui reste à démontrer) la possibilité d’expliquer l’indépendance relative du développement des individus, en face du but de l’absolu. Mais ce fait est parfaitement conciliable avec le monisme. En effet l’opposition des forces résistantes ne peut être expliquée ni par la volonté seule (qui en elle-même est vide et indivisible), ni par l’idée seule (qui en elle-même est sans force et sans réalité) ; mais comme tout acte réel, elle peut seulement être expliquée par l’unité des deux côtés inséparables de l’Être un et universel. Il faut que l’idée établisse le but concret, par conséquent aussi son isolement et son existence séparée, et il faut que la volonté fournisse la force par laquelle ce but idéal se maintient dans la réalité, c’est-à-dire contre des attaques constamment renouvelées. Si donc Bahnsen pense que l’idée logique doit immédiatement résorber en elle tous les degrés dépassés logiquement, cela suppose une conception tout à fait fausse de la téléologie, à savoir l’opinion que la nature et l’histoire peuvent seulement accomplir leur but, en y arrivant par la réalisation immédiate de ce qui est logiquement exigé.

Mais c’est là encore cette conception de la téléologie, qui provient de la croyance peu réfléchie à une providence, et reconnaît à tort la nécessité d’une μηχανη pour le τελος, d’un mécanisme pour la réalisation du but, d’une causalité régulière comme base nécessaire de la téléologie. Bahnsen ne semble connaître qu’une téléologie anticausale, qui se moque de toutes les lois et de toutes les causes dans la réalisation directe du but ; il oublie que même la téléologie chrétienne du moyen-âge accordait à la loi de la causalité une certaine place, il est vrai, subordonnée, mais qu’aujourd’hui une téléologie anticausale n’a plus besoin d’être combattue. S’il n’y avait que l’alternative entre une pareille téléologie et aucune téléologie, le choix ne saurait être douteux. Comme Bahnsen ne semble nullement avoir pensé à la possibilité d’une téléologie qui inclut logiquement la causalité comme moyen, il devait nécessairement arriver à nier la validité réelle de la téléologie. Mais comme il est