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beurier. — philosophie de m. renouvier

faculté de connaître, à cet objet, pur inconnu, qui nous échappe. C’est toujours Kant qui parle. Ainsi la contradiction n’est levée, il le dit formellement, qu’autant que l’inconnu reste inconnu et que la raison ne tente de le déterminer en aucune manière. Le fondement de la morale est dans la réalité d’un inconnu auquel nous ne devons point appliquer nos modes de représentation, les règles de notre faculté de connaître. En pensant cet inconnu, nous ne pensons rien ; en affirmant sa réalité, nous n’affirmons la réalité de rien ou si nous pensons quelque chose, afin qu’un pur néant ne soit pas la chose de la raison pratique, alors la contradiction reparaît et la critique de la raison pure reprend ses droits pour tout renverser jusqu’à la morale avec son prétendu fondement[1]. »

Cette argumentation que j’ai citée intégralement, pour donner une idée de la manière serrée de l’auteur, est tout à fait péremptoire au point de vue criticiste ; aussi me dispenserai-je d’insister sur les autres raisons que M. Renouvier fait valoir contre l’existence des noumènes. Kant a été conduit à les admettre comme un minimum de position de substances qu’il croyait nécessaire pour le fondement de la morale : son disciple fait remarquer que toutes les religions déclarent ce minimum insuffisant et que d’un autre côté le bien, la personne et ses droits, sans entités métaphysiques, donnent à la morale une base plus universelle et plus sûre. Kant a voulu « abolir la science pour faire place à la foi, » mais il n’a proposé que sa propre foi en remplacement de la science. « Ce qu’il faut quand on a reconnu la vanité de la raison pure ou absolue, c’est d’introduire dans la science la croyance en y déterminant sa signification et son rôle, et de rendre sa croyance elle-même scientifique en s’arrêtant aux limites de la raison dans le développement de la foi. »


Un second reproche capital que M. Renouvier adresse au fondateur du criticisme, c’est d’avoir méconnu la vraie place que doit occuper la question de la certitude dans un système spéculatif et de s’être, de toute façon, privé des moyens de la résoudre par sa confusion du désir et de la volonté. L’auteur des essais essaiera d’établir que la certitude n’est nullement expliquée par l’évidence, qu’elle résulte de trois éléments indissolubles, la raison, la passion et la volonté. C’est un point qui ne pourra être éclairci que plus tard, mais on admettra aisément que M. Renouvier est une fois de plus dans la logique du système criticiste lorsqu’il veut que la certitude scientifique ou autre soit démontrée et non reçue comme un principe indiscutable. Toute la Critique de la raison pure repose sur

  1. Psychologie rationnelle, II, 219.