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beurier. — philosophie de m. renouvier

En outre, autre avantage, la représentation étant seule posée et posée en dehors de toute certitude scientifique, c’est-à-dire de toute certitude réfléchie et formulée, qui n’appartient qu’à l’homme, M. Renouvier croit pouvoir regagner du côté des phénomènes ce qu’il abandonne de si grand cœur du côté des noumènes. « Kant, dit-il, n’envisage nulle part la représentation sous une forme compréhensive qui permettrait à ses analyses de la pensée de s’appliquer à tout ce qui est représentation hors de l’adulte, hors de l’homme lui-même, avec les réserves voulues, au degré où l’homme peut croire, en se fiant aux plus puissantes de toutes les analogies, que ce qui est de l’homme est encore de l’enfant, et puis de l’animal, et enfin des moindres animaux en descendant toujours[1]. » On voit par cette brève indication quelle vaste carrière s’ouvre le nouveau criticisme dans le champ illimité des hypothèses scientifiques. S’il repousse résolument toute spéculation sur « les entités métaphysiques », en revanche il n’aspire à rien moins qu’à formuler les lois de tous les êtres. Kant voulait élever la foi sur les ruines de la philosophie : M. Renouvier veut que la philosophie, la foi et la science reposent sur les mêmes principes. Par là il paraît se rapprocher d’Auguste Comte : mais combien ne s’éloigne-t-il pas du positivisme sur presque toutes les questions de quelque importance !


J’ai insisté sur les considérations précédentes parce qu’elles étaient de nature à bien montrer la position qu’a prise le nouveau criticisme vis-à-vis de l’ancien. J’aurais bien d’autres divergences à signaler entre les deux systèmes : ainsi M. Renouvier repousse la division kantienne de l’intelligence en sensibilité, entendement et raison. Il reproche à Kant d’avoir admis sous cette dernière dénomination une faculté chimérique de l’inconditionné, de l’absolu, qui a engendré des antinomies purement illusoires. Il n’accepte pas davantage le sens déterministe et fataliste donné au principe de causalité. Le lecteur jugera par la suite si ces critiques sont fondées et le sont toutes également.

M. Renouvier, malgré ces graves réserves, n’en pense pas moins que l’auteur des deux critiques est et reste le plus grand des philosophes pour avoir conçu le premier l’idée d’une critique de l’entendement ; pour avoir détrôné définitivement le principe de contradiction et établi la distinction essentielle des jugements analytiques et des jugements synthétiques ; pour avoir mis en lumière la forme ternaire de la connaissance et essayé de dresser la table des catégories ; enfin pour avoir démontré que la solution des problèmes qui

  1. Logique générale, I, 351.