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ont réellement de l’aséité dans le sens le plus rigoureux du mot, ou bien elles sont des fractions réelles d’une substance absolue originairement une et entière, mais qui s’est fractionnée à une époque reculée au-delà des limites de la pensée. Dans le premier cas, la nature de la Volonté dans chacune des nombreuses substances n’a pas plus de fondement que leur existence. Dans cette opinion que toutes les substances innombrables montrent la même constitution homogène, nous trouverions réalisé un cas d’une probabilité à priori si extraordinairement faible que l’invraisemblance presque absolue de ce cas, jointe à la multiplication numérique du miracle de l’existence sans fondement, enlève à cette hypothèse tout caractère sérieux et la rend d’un usage tout à fait impossible en science. Dans l’autre cas l’homogénéité serait à la vérité expliquée, mais elle le serait aux dépens de l’aséité à laquelle l’individualisme métaphysique attache une si grande valeur, et aux dépens de cette concession qu’il est impossible d’établir aucun système métaphysique quelconque, si l’on ne prend pas le monisme comme base.

Je laisse de côté la difficulté de savoir comment une unité primordiale peut être amenée à se fractionner en pluralité, et si l’on peut en général se représenter la possibilité d’un pareil fractionnement métaphysique en substances séparées. J’appelle seulement l’attention sur ce point que, dès que l’unité se serait divisée en beaucoup de parties substantielles séparées, toute relation, tout rapport devrait nécessairement cesser entre ces disjectis membris dei. L’homogénéité des parties ne pourrait pas constituer une objection contre ce fait. S’il existe une réaction réciproque vivante qui, selon Bahnsen lui-même, a comme conséquence dernière une tendance à la réunion ou au rétablissement de l’unité pure, il y a là une preuve certaine que l’unité continue de subsister réellement et que la pluralité n’en est qu’un seul côté, et à la vérité le côté extrinsèque. La continuité de l’unité, dans une sphère élevée au-dessus de la sphère de l’individuation, peut seule fournir le lien qui unit les individus entre eux et rend possible l’action réciproque de l’un sur l’autre. Il est tout aussi impossible à des pluralités absolument séparées d’arriver à l’unité. ou même d’y aspirer, qu’il est impossible à l’unité de se diviser en une pluralité substantielle. Si, d’après l’opinion de Bahnsen, les individus ont conservé la tendance vers l’unité comme une sorte de réminiscence du temps de leur existence réelle à l’état d’unité, cette tendance aurait précisément dû suffire pour étouffer dans son germe toute velléité de passer de l’état d’unité à. celui de pluralité. Mais si l’unité de substance continue de durer, alors l’alternative exacte entre le pluralisme et le monisme est tranchée en fait en