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pensée allemande cet esprit de retour vers les époques primitives, vers les âges de soumission et de foi, qui peu à peu, chez les Schlegel, chez Schelling, créa le romantisme. Et certes, les romantiques d’outre-Rhin ne rêvaient pas liberté, indépendance, comme leurs frères de France ou d’Angleterre ; ils demandaient que le moyen-âge leur fût rendu, et avec lui, l’humilité de l’intelligence, la docilité du cœur, le « mol oreiller », des croyances consenties, la douce servitude volontaire, par laquelle l’âme s’emprisonne dans ses dogmes, pour garder, fort et pur, le sentiment religieux qui est sa vie. Je laisse à juger si alors l’Allemagne était bien disposée pour comprendre Voltaire, et surtout ce qui, dans l’œuvre de Voltaire, porte le plus la marque du zélé réformateur, de la passion conquérante : je veux dire ses vues, ses idées sur la religion, sur l’histoire, sur les mœurs. Strauss qui, après avoir. débuté par le romantisme et par Hegel, a fini par une profession de libre pensée et de naturalisme, Strauss est, à coup sûr, le critique le plus curieux à consulter en cet endroit. Nul n’a eu l’expérience plus complète des opinions, non-seulement diverses, mais opposées, qui se sont produites sur cette partie de la philosophie voltairienne ; il en a su le fort et le faible. De singulières analogies de rôle et de situation l’avaient de plus, en mainte circonstance, amené à réfléchir sur une œuvre et sur une vie qui le touchaient de si près. Il y a un accent personnel dans tout ce que Strauss a écrit sur Voltaire : un tel sujet, n’était-ce pas, en effet, un retour sur lui-même, et presque un examen de conscience ?

Sur la religion, Voltaire et Strauss ne peuvent guère différer l’un de l’autre, tous deux ne visent qu’à la raison, tous deux, de plus, sont exégètes et critiques ; l’un dès ses plus jeunes années, dans l’Épître à Uranie, écrivait : « Je ne suis pas chrétien ; » l’autre, sur le seuil de la mort, dans son dernier livre, à cette question : « Sommes-nous encore chrétiens ? » répondait : Non. Et pourtant, bien que d’accord au fond, je pense, il y a entre eux toute la distance qui sépare le déiste du dix-huitième siècle, et le psychologue, l’érudit ou l’historien d’aujourd’hui. Si, pour désigner Strauss, j’emploie, tous ces noms, c’est qu’en effet à l’heure présente pour être, non pas acceptée, mais comprise, la religion exige ces études, ces recherches, ces méthodes multiples. Au siècle dernier, le rationalisme était une foi, qui s’opposait à une autre foi : autel contre autel, église contre église, et Montesquieu a pu dire que, comme ses adversaires, Voltaire n’écrivait que pour son couvent. Selon Voltaire, le déisme était la religion naturelle, la croyance de la raison et du cœur : le reste, à savoir les religions révélées, en tant qu’elles