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ANALYSESardigò. — La Psicologia.

Cette conclusion n’implique en rien, comme il semble, l’admission de facultés indépendantes de l’organisme. Tout phénomène psychique a dans quelque phénomène physiologique son corrélatif inséparable. Seulement dans certains cas nous savons à quel objet extérieur ou à quelle partie de notre corps le phénomène de conscience peut être rapporté ; dans d’autres cas nous l’ignorons. C’est dans ces derniers cas que nous imaginons des facultés destinées à servir de support aux phénomènes. Tandis que nous rapportons le son aux objets extérieurs, et telle douleur à l’un des doigts de la main, nous avons déjà plus de peine à situer exactement une sensation éprouvée à l’un des doigts du pied : et s’il s’agit d’une douleur produite dans les organes profonds, de l’angoisse par exemple qui accompagne les troubles de la circulation, nous ne savons plus si nous devons la rapporter à un organe. Le phénomène devient l’origine de peines dites morales. À plus forte raison sommes-nous incapables de déterminer à quelle partie de l’encéphale correspond telle et telle opération ou émotion psychique : c’est alors que nous nous tirons d’embarras en créant des facultés qui n’ont d’autre rôle que de remplir les vides laissés par notre ignorance, et de remplacer les véritables supports organiques. Mais le parallélisme des deux ordres de phénomènes, physique et psychique, est en vain masqué par ces entités imaginaires ; il se découvre de plus en plus : il devient de plus en plus manifeste que les deux séries sont en étroite corrélation. On est conduit ainsi à se demander si les caractères communs qu’elles offrent ne permettent pas de les ramener à un principe unique. Non qu’on doive supposer une substance réelle autre que la matière et l’esprit ; ceux-ci ne sont déjà que des abstractions, des catégories de phénomènes ; il s’agit seulement de concevoir par induction comme expliquant de nouvelles ressemblances entre ces deux catégories, une catégorie supérieure, qui ne contiendra rien de plus que les traits communs des deux sortes de phénomènes, à mesure qu’ils se révéleront à l’expérience. L’homme apparaîtra ainsi comme un tout formé, non de deux substances distinctes, mais d’un seul agrégat de phénomènes à double face. Cette conception est celle de Spinoza, mais avec cette grande différence, dit M. Ardigò, que la substance de Spinoza est conçue à priori comme le point de départ de la science, tandis que celle-ci, simple connotation des ressemblances qui unissent la matière et l’esprit, résultant de l’expérience, reste toujours prête à se modifier avec ses progrès.

C’est là le point culminant de l’ouvrage. Des phénomènes et des lois, voilà donc l’objet exclusif de la psychologie. C’est avec raison que l’auteur se préoccupe de savoir quelles peuvent être les conséquences d’une telle doctrine, et quel aspect elle peut revêtir aux yeux de ceux qui scrutent surtout la portée métaphysique et morale des systèmes.

Elle ne conduit assurément point au spiritualisme ; elle en est là négation la plus radicale. M. Ardigò reproche à celui-ci d’entraîner des difficultés sans nombre. Combien y a-t-il d’âmes dans l’homme ? Une