Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
626
revue philosophique

facile de résumer en quelques pages l’ouvrage volumineux, un peu diffus peut-être, mais éloquent, savant, nourri de faits, de l’illustre professeur d’Iéna. Et cependant il y a réussi pleinement, et cela, sans se rabaisser au rang de compilateur servile. Il discute en homme compétent les théories de Haeckel, émet des observations judicieuses sur certains points de détail, et rassemble en un faisceau compact les preuves en faveur du transformisme, disséminées dans l’ouvrage allemand.

Me voici revenu à cette question du transformisme par où j’ai commencé. Elle lui tenait au cœur. Il ne laisse jamais échapper l’occasion d’en montrer la grandeur et la majesté, de la disculper des reproches que lui adressent de prétendus défenseurs de la divinité. C’est avec regret qu’il constate que certaines théories de Haeckel lui ont attiré l’accusation, à quelques égards justifiée, de matérialisme. L’athéisme, le matérialisme n’ont pas de point de contact avec la théorie de l’évolution ; le communisme lui est complètement étranger, et si elle implique des conséquences sociales, elles pourraient être invoquées plutôt par les doctrines conservatrices, qui y trouveraient un point d’appui rationnel et solide[1]. Ne soyons dupes ni des mots, ni des hommes. Si tel, qui se dit adepte de Darwin, affiche l’athéisme, prêche des utopies, il n’en faut pas rendre responsable la doctrine de l’évolution. C’est se laisser prendre aux apparences[2]. L’idéalisme superficiel des Français les place dans une infériorité relative en face de la tendance pratique des Anglais et de la foi brutale des Allemands dans la vérité scientifique[3]. Sans doute on a le droit de sourire en entendant Haeckel faire de l’adoption du Darwinisme et de la philosophie monistique qui en découle le signe de la supériorité de la race anglo-germaine sur la race latine. Cependant c’est avec un sentiment d’orgueil peu dissimulé que Dumont rappelle que « la France, par ses naturalistes du xviiie siècle, et surtout par Lamarck, a contribué plus que l’Allemagne à la découverte de la théorie de l’évolution » ; et qu’il constate qu’elle lui laisse prendre de jour en jour une plus large part dans sa littérature et sa philosophie[4]. Erreur ou vérité, qu’on laisse le darwinisme exposer en toute liberté ses systèmes, qu’on lui ouvre ; enfin l’enseignement officiel ! Bien mieux que les entraves, la libre discussion fera justice des doctrines fausses ou malsaines. L’issue de la lutte entre le vrai et le faux ne peut être un instant douteuse.

J. Delbœuf.
  1. Haeckel, etc., p. 7.
  2. Ibid., p. 9.
  3. Théorie de la sensibilité, etc., p. 266.
  4. Haeckel, etc., p. 166.