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-Brentano, que nous nous acheminons, par une rapide décadence, à l’extinction de toute lumière intellectuelle, et que, sans nous en douter, nous soyons tout près de retourner à la sauvagerie.


Dans le troisième livre, M. Funck-Brentano traite des arts et des lettres. Il débute par une réfutation rapide des théories qui prétendent expliquer l’origine et les caractères distinctifs de la littérature et des arts de chaque peuple par l’influence du climat, de la race, des croyances religieuses et de l’état social. Il reconnaît l’importance de ces causes, mais il ne pense pas qu’elles soient toutes puissantes. Il pose et s’efforce d’établir ce principe : que l’élévation de l’art et la perfection de ses œuvres sont en proportion de l’harmonie plus ou moins intime qui existe entre les connaissances techniques, le développement des idées et la grandeur des affections.

Ce principe lui permet de déterminer et d’expliquer les caractères si différents que présentent les arts et les lettres aux époques successives de la civilisation. Il distingue, à ce point de vue, plusieurs périodes dans la vie des nations. Chez les sauvages et les peuples primitifs, l’art existe à peine ; dans les époques barbares, à la pauvreté des idées, à l’inexpérience technique, à des affections sociales déjà fortes, répond un art où l’expression générale est aussi brutale que l’exécution est grossière ; mais l’une et l’autre témoignent d’une puissance étrange et imposante. Telles furent, en France, la sculpture, la musique, l’architecture du viiie au xie siècle ; en Grèce et à Rome, les constructions cyclopéennes d’Argos et d’Albe ; pour les aryas et les Scandinaves, les hymnes du Rig-Véda, le chant du Vofthrudner, le poëme d’Odin.

Aux époques barbares succèdent les époques héroïques. Les traditions religieuses et les traditions militaires se sont mêlées ; la conscience nationale s’est formée ; tous les grands éléments de la vie sociale ont acquis assez de force pour se vivifier mutuellement. C’est l’âge d’or de l’épopée. Le génie de la France enfante la chanson de Roland ; celui de l’Inde, le Mahabharata ; celui de la Grèce, l’Iliade. L’architecture ogivale, née en France, commence à couvrir l’Europe de ses chefs-d’œuvre, le vieux temple dorien se dégage de l’imitation des constructions assyriennes ; l’Égypte élève ses pyramides.

Mais une loi nécessaire précipite la décadence des époques héroïques, et par le développement harmonieux et progressif de leurs connaissances techniques, de leurs idées et de leurs affections, les nations arrivent à l’époque de splendeur qui comprend elle-même plusieurs périodes. Quelques noms suffisent à en marquer les caractères. Dans la première période, c’est Firdousi pour les Arabes, Kalidasa pour les Indous ; pour l’Italie, Dante et Pétrarque ; Eschyle et Pindare, pour la Grèce ; l’auteur des psaumes, pour les Hébreux. La statuaire de l’École d’Egine, les toiles de Mantegna, de Giovanni de Fiesole, sont, dans les arts plastiques, des manifestations analogues du génie des nations arrivées à cette période de leur développement.

Immédiatement après, vient ce que l’auteur appelle la période d’éclat