Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
ANALYSEShermann. — Woher und Wohin ?.

dans l’homme. L’analyse réflexive, employée avec tant de subtilité et de talent par Schopenhauer entre autres, pénètre seule au cœur de cette « personnalité » qu’on veut bien reconnaître à l’homme, verbalement. M. Hermann eût mieux fait de suivre les traces de son maître et de se poster comme lui au centre de la conscience : par sa méthode exclusivement objective et empirique, il se condamne à ignorer la nature propre des actes et des pouvoirs internes, en un mot l’homme moral. Dans l’espèce, il n’a point prouvé en ; vertu d’une nécessité logique que la supériorité intellectuelle de l’homme soit la conséquence inévitable des lois précédemment érigées en principes. Avec Kant nous croyons qu’un ensemble d’instincts à la fois plus délicats, plus nombreux et plus variés, eût rigoureusement suffi à la conservation de l’espèce humaine et de l’individu. M. Hermann n’en affirme pas moins avec assurance, en reprenant pour son compte les arguments connus du matérialisme, , que « l’intelligence est simplement un effet de la vie organique. » Inutile d’ajouter que la doctrine kantienne de Schopenhauer sur le libre arbitre, considéré comme chose en soi, est résolument abandonnée par l’auteur.

II. Cet être supérieur par l’intelligence aux autres individus organisés, où va-t-il ? Wohin ? L’idée terrifiante de la mort, rendue odieuse par le « besoin aveugle de vivre » (blind Drang zum Leben) que maudissait Schopenhauer, et par la crainte de la douleur, donne à cette question un intérêt poignant. Arrivé sur le second versant de la vie, l’homme rêve l’immortalité ! Illusion que dément la nature impitoyable : l’intelligence de l’homme n’étant que le produit de son organisation périt avec elle. À l’exemple de Sénèque, M. Hermann s’efforce d’atténuer l’horreur de cette chute irrévocable dans le néant : entreprise bien vaine. Il est plus sérieux de montrer, comme il le fait, que tout dans la nature est sacrifié à la vie et au développement de l’espèce, que par suite l’homme doit à cette fin nécessaire attacher ses efforts et son nom, ouvrier éphémère d’un œuvre éternel. Pour atteindre toute sa grandeur, la conscience individuelle doit se confondre dans la conscience de la race, plus encore, s’absorber dans la conscience universelle du genre humain.

Cette conception de la vie humaine, tout opposée à la doctrine de Schopenhauer, a aussi l’avantage d’être parfaitement morale. Elle impose en effet à chacun la tâche (die Aufgabe) « de développer sa nature propre, son essence individuelle pour le plus grand bien des personnes qui l’entourent ; » de « ne faire qu’une différence infiniment faible entre nous et les autres ; » de « regarder les douleurs d’autrui autant que possible comme les nôtres, » etc. etc. On s’étonne que M. Hermann n’ait point compris l’impossibilité d’asseoir aucune règle d’action universelle et obligatoire sur les principes étroits de sa doctrine. Ce sacrifice de l’individu à la communauté, cette absorption du moi individuel par le moi humain collectif, à quel titre la prescrirez-vous ? Quelle est la valeur impérative de semblables maximes pour l’homme, être sentant plus encore qu’intelligent, de votre propre aveu ?