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politique ne sont pour lui que des dépendances de la philosophie ; il s’élève vigoureusement contre ceux qui prétendent se passer de principes rationnels, à priori, dans l’étude de ces sciences et de leur histoire. Unir l’histoire des sciences sociales à celle des systèmes philosophiques est une bonne pensée ; mais il y a dans cette voie deux écueils que M. Miraglia ne nous paraît pas avoir assez pris soin d’éviter. Ou bien on présente les résultats de la science sociale et ceux de la philosophie juxtaposés, mais non fondus en un même tableau ; ou bien on cherche à les unir plus intimement, mais alors on établit un lien arbitraire entre tel système métaphysique et telle théorie sociale qui ne sont pas nécessairement connexes. Le premier de ces inconvénients est justement celui du premier de ces essais. Une très-longue et trop rapide revue des philosophes nous fait passer sous les yeux une mosaïque assez disparate de doctrines philosophiques et de doctrines politico-juridiques qui n’ont souvent pas les unes avec les autres un rapport assez évident. Il est probable que l’espace a manqué à l’auteur pour nous faire mieux entendre ce rapport ; mais dès lors pourquoi donner place dans une telle revue même à des philosophes dont l’action sur la philosophie du droit est au moins douteuse, à Malebranche par exemple ? L’intérêt devient plus vif à mesure qu’on approche de Hegel dont la philosophie sociale est le véritable objet de cette étude. Cette partie peut être consultée avec fruit par ceux qui pour une raison ou pour une autre redouteraient d’aborder l’original. — Le second essai est un article publié en 1875 dans le Journal napolitain de philosophie et de littérature. Il nous semble encourir le second des reproches énoncés plus haut. Plus nourri, plus substantiel, plus synthétique aussi (car ce qui manque le plus à cette liste prolongée de philosophes dont nous venons de parler, c’est une vue philosophique qui lui donne quelque unité et y ménage une perspective), il ne nous convainc pas cependant de l’union indissoluble qu’il tend à établir d’une part entre l’Idéalisme et la théorie qui fait de la nation un corps organisé, d’autre part entre le sensualisme et la politique mécaniste. Kant est idéaliste peut-être et cependant l’État pour lui n’est au témoignage de M. Miraglia qu’un moyen, un milieu dans lequel se développe l’activité des individus, seuls réels. Si on eût dit à Descartes ou à Malebranche que la nation est une personne on les eût bien étonnés. En revanche, cette conception du corps social comme organisme vivant est celle de plusieurs positivistes en même temps que de Platon ! Ces adhérences entre les divers groupes d’idées ne sont pas aussi inévitables qu’on l’assure. Ainsi on croit assez généralement, et M. Miraglia partage cette croyance, que l’on ne peut accorder à l’État une existence concrète sans lui attribuer en même temps un pouvoir considérable sur les individus ; pourtant, voici M. Spencer qui fait de la sociologie une suite de la biologie et n’est rien moins que disposé à voir dans l’État une sorte de Providence. Il faut renoncer à ces classifications superficielles. S’il y a une logique cachée qui lie entre elles les diverses conceptions de l’esprit humain et particulièrement la métaphysique avec la science sociale, il n’est pas toujours