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comme il aurait pu le faire s’il avait eu quelque espoir de se défendre, le faible animal prend de lui-même l’attitude qui serait le résultat de sa défaite dans la bataille : il semble dire « je suis vaincu et à ta merci ». Donc, outre certaines attitudes exprimant l’affection, qui passent en usage plus tôt encore chez certains animaux inférieurs à l’homme, il s’en établit d’autres qui expriment l’assujettissement.

Ce fait reconnu, nous sommes préparés à reconnaître aussi que les relations quotidiennes qu’ont entre eux les sauvages les plus dégradés, ceux dont les groupes petits et mal unis méritent à peine le nom de sociétés, qui ne connaissent ni autorité politique ni autorité religieuse, obéissent néanmoins à un nombre considérable de règles cérémonielles. Il n’y a chez les hordes éparses des naturels de l’Australie aucune autre autorité gouvernementale que celle qui impose la supériorité d’une personne ; mais ils ont des cérémonies impératives. Quand des étrangers se rencontrent, il faut qu’ils gardent le silence quelque temps ; à un mille d’un campement il faut annoncer son approche par de bruyants couis ; un rameau vert sert d’emblème de paix ; les sentiments d’amitié fraternelle s’expriment par l’échange des noms. Les Tasmaniens, qui n’avaient de gouvernement, que l’autorité d’un chef durant la guerre, avaient institué des moyens d’exprimer la paix ou le défi. Les Esquimaux, chez qui n’existe aucune inégalité ni rien qui ressemble à l’autorité d’un chef, ont adopté des usages pour le traitement des hôtes.

À. ces preuves on peut en ajouter d’autres. On trouve l’autorité des cérémonies très-développée en plusieurs endroits où les autres formes de l’autorité ne sont encore qu’à l’état de rudiment. Le sauvage Comanche « impose l’observance de ses règles d’étiquette aux étrangers » et se montre « profondément blessé » quand on y manque. Lorsque des Araucaniens se rencontrent, les questions, les félicitations et les témoignages de condoléance que la coutume exige, sont tellement compliqués que l’accomplissement de ces « formalités prend de dix à quinze minutes ». On nous rapporte que chez certains Bédouins qui n’ont pas de gouvernement, « les manières sont quelquefois dominées par des formalités étrangement cérémonieuses ; » les salutations des Arabes ont une telle importance que les « compliments d’un homme bien élevé ne durent jamais moins de dix minutes. » « Nous fûmes particulièrement frappés, dit Livingstone, de la scrupuleuse exactitude à s’acquitter de leurs devoirs de politesse que montraient les Balondas. » « Les Malgaches ont plusieurs formes différentes de salutation, dont ils font largement usage… Aussi trouve-t-on dans leur commerce beaucoup de raideur, de formalité et d’exactitude. » Un orateur Samoan, prenant la parole au sein du Parlement, « ne se contente pas d’un mot de