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herbert spencer. — études de sociologie

parce que la tête de l’ennemi, c’est la preuve la plus irrécusable de la victoire.

Nous n’avons pas besoin d’aller loin pour trouver des exemples de cette pratique et des motifs qui la suggèrent. Nous les rencontrons dans un livre qui est dans les mains de tout le monde. Nous lisons dans les Juges (vii, 25) le passage suivant : « Et ils prirent les deux chefs des Madianites, savoir Oreb et Zéeb, et ils tuèrent Oreb au rocher de Horeb ; mais ils tuèrent Zéeb au pressoir de Zéeb, et ils poursuivirent les Madianites et apportèrent les têtes d’Oreb et de Zéeb à Gédéon, en deçà du Jourdain. » David tranche la tête de Goliath et la porte à Jérusalem : autre exemple de la coutume. Quand nous voyons une race, aussi haut placée dans l’échelle que celle des Hébreux, remporter des têtes en guise de trophées, nous ne devons pas nous étonner de trouver chez toutes les races inférieures du globe cette même coutume. Les Chichimèques de l’Amérique du Nord « fichent les têtes des vaincus au bout d’une perche et les promènent à travers leurs villages en signe de victoire, tandis que les habitants dansent autour de ces dépouilles. » Dans l’Amérique du Sud, les Abipones rapportent de la bataille des têtes « attachées à leur selle », et les Mundrucus « décorent leurs grossières et misérables cabanes avec ces horribles trophées ». Parmi les Malayo-Polynésiens qui ont la même coutume, on peut citer les naturels de la Nouvelle-Zélande : ils font sécher et conservent précieusement les têtes de leurs ennemis morts. À Madagascar, sous la reine Ranavalona, on voyait le long de la côte des rangées de têtes plantées au bout de perches. Les peuplades du Congo et d’autres peuples d’Afrique conservent les crânes de leurs ennemis comme trophées. « On montre encore comme des trophées, à la cour des Achantis, le crâne et le fémur du.dernier roi de Dinkira. » Les Koukis, l’une des tribus montagnardes de l’Inde, ont le même usage. Morier nous dit qu’en Perse « on mettait à mort de sang-froid » pour de l’argent « des prisonniers (de guerre), afin que leurs têtes, envoyées en toute hâte au roi et empilées devant la porte du palais, y fissent un plus grand effet. » Enfin, ce qui montre que chez d’autres races asiatiques l’usage de couper les têtes des morts persiste en dépit d’une demi-civilisation, c’est ce que les Turcs ont fait naguère : on les a vus, quelquefois, exhumer les corps des ennemis tués et leur couper la tête.

Ce dernier fait nous amène à remarquer que la coutume barbare de couper des têtes a été et se trouve encore pratiquée avec l’excès le plus extrême, tant que l’esprit militaire demeure lui-même excessif. Parmi les anciens faits, nous pouvons citer les exploits de Timour,