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herbert spencer. — études de sociologie

pres trophées ceux que d’autres conquièrent pour lui, et cette crainte se transforme en terreur quand il expose en grand nombre les reliques des chefs qu’il a fait tuer. Quand la coutume revêt cette forme avancée, la réception de ces trophées conquis par procuration devient une cérémonie politique. Le monceau de mains déposé aux pieds du roi égyptien était un moyen de gagner sa faveur, de même que de nos jours les charges de mâchoires envoyées par le général Achanti à la cour. On rapporte que les soldats de Timour « devaient obéir au commandement absolu de rapporter un nombre fixé de têtes, ce qui les rendait plus cruels », preuve que la présentation des trophées devient une formalité destinée à exprimer l’obéissance. Ce n’est pas seulement de cette manière que l’usage en question donne lieu à un effet politique. Nous avons encore à mentionner le genre de contrainte gouvernementale qui dérive de l’usage d’exposer les corps ou les têtes des criminels.

Quoique l’acte d’offrir une partie d’un ennemi tué pour gagner la faveur d’un esprit ne rentre pas dans les pratiques qui composent ce qu’on appelle ordinairement le cérémonial religieux, il ne laisse pas évidemment d’en faire partie quand il a pour but de gagner la faveur d’un dieu qui était jadis un esprit ancêtre. Un fait nous montre la transition : lorsque deux tribus de Khonds se livrent bataille, « le premier guerrier qui tue son adversaire lui coupe le bras droit et le porte en courant au prêtre sur les derrières du champ de bataille, et celui-ci le dépose comme une offrande sur le tombeau de Laha Pennou ». Laha Pennou est le dieu des armées des Khonds. Rapprochons de ces faits d’autres faits, par exemple de ce qui se passait en présence du dieu tahitien Oro, où l’on immolait fréquemment des victimes humaines et où l’on élevait des murs « entièrement formés de crânes humains », ayant appartenu « la plupart, sinon tous, à des guerriers tués dans les batailles » ; nous croyons que l’on adorait certains dieux en leur apportant et en accumulant autour de leurs autels ces parties des ennemis tués, et tués le plus souvent pour obéir aux ordres de ces divinités. Ce qui confirme cette induction, c’est que nous voyons d’autres genres de dépouilles servir à un pareil usage. Les Philistins ne se contentèrent pas d’exposer les restes du roi Saül ; ils suspendirent « ses armes dans le temple d’Astaroth ». Les Grecs élevaient des trophées, formés d’armes, de boucliers, de casques enlevés aux morts, et les consacraient à certains dieux. Les Romains déposaient les dépouilles recueillies sur le champ de bataille dans le temple de Jupiter Capitolin. Les Fidjiens, peuple très-attentif à rechercher par tous les moyens la faveur de ses divinités sanguinaires, « ne manquent jamais de porter les drapeaux qu’ils ont