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d’une proposition beaucoup plus générale : l’infiniment petit se conçoit, mais ne peut se percevoir. L’infiniment petit existe pour la pensée, mais n’existe pas en réalité. En abstraction, l’infiniment petit est plus que le rien et n’est pas encore quelque chose ; en fait, il n’est rien. Par conséquent, deux choses qui ne diffèrent que d’un infiniment petit sont rigoureusement égales. Deux lignes, deux surfaces, deux volumes, du moment qu’ils ne sont pas équivalents, l’emportent l’un sur l’autre d’une certaine étendue finie, appréciable et mesurable. Deux poids sont les mêmes, ou il y a entre eux la différence d’un certain poids fini.

Appliquons ce principe aux mouvements extérieurs. Il en résulte que, si deux molécules ne sont pas indifférentes l’une à l’égard de l’autre, elles s’attirent ou se repoussent avec une force déterminée et finie. De là, pour les séparer ou pour les rapprocher, il faudra aussi une force finie ; toute force moindre n’amènera pas ce résultat et ne fera que le préparer. Un thermomètre est plongé dans l’eau, et il en marque la température. J’échauffe cette eau. Le thermomètre ne se mettra pas tout de suite à monter, c’est-à-dire qu’on peut échauffer l’eau d’une quantité finie assez faible pour que le thermomètre ne bouge pas. Et quand il se sera mis en mouvement, puis arrêté, il marquera exactement la température du liquide, ou bien il ira au delà ou restera en deçà d’une quantité en soi appréciable. Si l’on avait un thermomètre idéal, parfait, les choses ne se passeraient pas ainsi. Mais, du moment que l’on a affaire à des molécules matérielles, elles ont nécessairement un certain degré fini de cohésion, et le gaz parfaitement élastique, tel que le définit Clausius, n’existe pas. Le thermomètre à air, le plus exact des thermomètres, est encore imparfait.

La continuité existe-t-elle au moins dans le mouvement ? Pas le moins du monde. Sans doute, s’il s’agit du mouvement théorique, où tout est abstraction, mobiles, points matériels, centres de gravité, espace absolument vide, dans ce cas, l’on peut affirmer la continuité. Mais le mouvement réel, les mobiles réels, c’est tout autre chose, et dans la réalité la continuité ou, pour employer ici un mot plus exact, l’uniformité n’existe pas.

Comment, dira-t-on, un corps lancé, abandonné à lui-même, ne va pas ralentir progressivement sa course ? Assurément non. Considérons une molécule de ce corps. Cette molécule rencontre une molécule d’air, et son mouvement est diminué d’une quantité finie ; elle poursuit néanmoins sa course d’un pas uniforme : ce pas est un peu plus lent ; mais elle marche pendant quelques instants, jusqu’à ce qu’elle rencontre une seconde molécule d’air qui lui fait éprouver un nouveau choc et un nouveau ralentissement ; et elle continue ainsi