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herbert spencer. — études de sociologie

seigneur, dans sa cour de justice et dans son camp. Le refus de se conformer aux observances obligées équivalait à la rébellion ; aujourd’hui encore en Chine l’omission des formalités prescrites envers chaque grade de fonctionnaires « passe presque pour l’équivalent du refus de reconnaître leur autorité. »

Chez les peuples inférieurs on voit encore mieux ce lien qui unit les caractères sociaux. Ellis, qui nous parle des manières extrêmement cérémonieuses des Tahitiens, écrit que « cette particularité semble les suivre dans les temples, distinguer l’hommage et le culte qu’ils rendent à leurs dieux, mettre son cachet sur les affaires de l’État, et la conduite du peuple envers ses chefs, enfin dominer toutes leurs relations sociales. » En attendant dit-il, ils sont dépourvus « même de lois et de règles orales, » ce qui vérifie le dire de Cook, qu’il n’y avait chez ce peuple aucune institution pour l’administration publique de la justice. Mariner nous apprend que si quelqu’un, aux îles Tonga, négligeait de s’acquitter des salutations de règle en présence d’un noble d’un rang plus élevé, il devait s’attendre à voir les dieux le punir de son omission par quelque malheur ; et la liste des vertus dans ce pays commence par « l’observance du respect dû aux dieux, aux nobles et aux personnes âgées. » Si nous ajoutons à cela que beaucoup d’actes réprouvés par les Tongans ne passent pas pour intrinsèquement mauvais, mais qu’ils ne le sont que lorsqu’ils sont dirigés contre les dieux ou les nobles, nous avons la preuve qu’à côté d’une autorité cérémonielle très-développée, les sentiments, les idées et les usages qui donnent naissance au gouvernement civil, n’étaient que faiblement développés.

Il en était de même dans les anciens états de l’Amérique. Les lois du roi mexicain Montézuma I\1 avaient surtout trait aux relations et aux distinctions des classes. Au Pérou, « la peine la plus commune était la mort, car, disait-on, on ne punit pas le coupable pour les fautes qu’il a commises, mais pour avoir enfreint le commandement de l’Inca. » Les Péruviens n’étaient pas encore arrivés à l’époque où l’on voit dans les transgressions de l’homme contre l’homme des torts à redresser, et où l’on comprend qu’il y a lieu de proportionner la pénalité au dommage ; le crime réel était l’insubordination : ce qui donne à penser que l’insistance sur les signes de subordination constituait la partie essentielle du gouvernement. Un passage de Thunberg nous montre qu’au Japon, où la vie est assujettie à un cérémonial si compliqué, la même théorie a conduit exactement au même résultat. Ceci nous fait songer que dans des sociétés aussi avancées que l’Angleterre, il existe encore des signes d’une condition primitive analogue. « L’accusation de félonie, dit Wharton, signifie une transgression de la paix du seigneur le roi, sa couronne et sa dignité