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herbert spencer. — études de sociologie

les lumières dans l’île ou le district ; on ne peut point mettre de canot à l’eau ; nul ne peut se baigner ; à l’exception de ceux dont le service est requis au temple, personne ne peut se montrer hors de chez lui ; il ne faut pas que les chiens aboient, que les cochons grognent, ni que les coqs chantent… Aussi l’on attache le museau des chiens et des cochons, l’on cache les oiseaux de basse-cour, la volaille, sous des calebasses, ou l’on fixe sur leurs yeux une pièce de drap. » Ce qui montre combien l’idée de transgression s’associait complètement dans l’esprit du naturel des îles Sandwich à la violation de l’observance cérémonielle, c’est que « si quelqu’un faisait du bruit le jour du tabou… il devait mourir. » La religion conserve encore ce caractère à des périodes très-avancées de son évolution. Oviedo, en interrogeant les naturels du Nicaragua sur leurs croyances, s’aperçut qu’ils confessaient leurs péchés à un vieillard choisi pour cela, et demanda quels étaient ces péchés ; voici la première chose qu’on lui répondit : « nous lui disons quand nous avons manqué nos fêtes et que nous ne les avons pas observées. » Nous apprenons de même que chez les Péruviens « le plus gros péché était de négliger le service des Huacas » (esprits, etc.) ; et qu’une grande partie de la vie se passait à gagner la faveur du mort divinisé. Les anciens documents nous montrent partout la complication savante des observances, la fréquence des fêtes, la prodigalité des dépenses par lesquelles les anciens Égyptiens recherchaient le bon vouloir des êtres surnaturels ; et ce qui nous prouve que chez eux le devoir religieux consistait à satisfaire les désirs des esprits des ancêtres, plus ou moins divinisés, c’est la prière de Ramsès à son père Ammon dont il réclame le secours dans la bataille, en lui rappelant le grand nombre de taureaux qu’il lui a sacrifiés.

Il en était de même chez les Hébreux avant Moïse. Suivant la remarque de Kuenen, « l’œuvre capitale et le grand mérite » de Moïse fut de donner la prépondérance à l’élément moral dans la religion. D’après la réforme qu’il introduisit dans les croyances de son peuple, a Jahveh se dislingue du reste des dieux en ce qu’il veut être servi non-seulement par des sacrifices et des fêtes, mais aussi, et même avant tout, par l’observance des commandements moraux. » Chacun sait que la piété des Grecs comprenait l’observance diligente des rites funèbres, et que le dieu grec se montrait surtout irrité de l’omission des cérémonies propitiatoires ; quand un Troyen ou un Égyptien se réclamait d’un dieu, il ne rappelait pas la droiture de sa vie, mais les offrandes qu’il lui avait faites ; témoin la prière de Chrysès à Apollon.

Le christianisme lui-même, qui dut son origine à un développement du sentiment moral ravivé aux dépens de l’élément cérémoniel, perdit en s’étendant les premiers traits qui le distinguaient des religions