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de ces deux substances ? Comment l’étendu peut-il agir sur l’inétendu ? Comment ce qui, par définition, n’occupe aucun lieu dans l’espace, ce qui est simple, indivisible, peut-il se diviser, se répandre dans l’espace et embrasser une multiplicité d’éléments étendus ? Il n’y a qu’un corps qui puisse s’unir à un corps. Voici que de nouveau se pose le problème insoluble qui a tourmenté le xviie siècle. Peu importe que la matière et l’esprit soient sortis d’un même acte créateur : après la création, ils n’en sont pas moins distincts d’une distinction absolue, qui les rend insaisissables l’un à l’autre, qui ne leur laisse aucune prise pour engager le combat : pour le corps, l’âme est un fantôme invisible ; pour l’âme, le corps est un monstre incompréhensible ; il faut que l’un ou l’autre disparaissent, le choix s’impose.

Toutes les théories de l’auteur, qui supposent la communication des deux substances, sont arrêtées à ce même obstacle. Est-il vrai que le sensualisme et l’idéalisme se concilient dans l’imagination ? Cette faculté de l’esprit, dit l’auteur, faisant du sensible quelque chose d’intellectuel, de l’intellectuel quelque chose de sensible, montre que les deux termes, impliqués dans une même connaissance, ont une valeur égale et une aussi réelle existence. — Oui, si l’on admet que le sensible ne soit pas déjà quelque chose de purement intellectuel, ce qui donnerait raison à l’idéalisme. — Est-il vrai encore que dans l’acte d’imagination nous saisissions sur le fait, nous observions directement, comme une réalité en nous, la pénétration de l’âme et du corps ? Le corps s’est fait esprit, l’esprit s’est fait corps, pour former l’image de l’objet représenté, dit l’auteur. — Que l’imagination tienne des sens et de l’esprit (sinnlichgeistig), nous ne le contestons pas ; mais ce qui pénètre en nous par les sens, ce n’est pas la matière même ; la perception d’un objet est une image, quelque chose d’intellectuel, à moins qu’on admette avec M. Froschammer que la matière est une réalité directement connue, que c’est la matière même qui en nous prend conscience d’elle-même. Nous avons rejeté le principe, nous rejetons la conséquence : l’esprit ne peut pas pénétrer la matière, s’associer à elle assez intimement, pour qu’elle devienne consciente d’elle-même, en devenant une partie constituante de l’âme. Si la matière ne peut se saisir comme réalité, ses lois ne pourront pas plus devenir visibles à elles-mêmes, s’organiser en un entendement humain. Que l’étendu devienne l’inétendu, que l’esprit un et simple pénètre le corps multiple et divisible, voilà le postulat inacceptable, qui est supposé par toutes ces théories.

L’auteur objectera qu’il faut bien admettre ce qui est constaté ; que le dualisme s’impose, parce que l’action directe des deux substances se constate ; que la science doit accepter sans préjugés les hypothèses que lui dictent les faits. Il ajoutera qu’avec une substance unique, identique à elle-même, le mouvement s’arrête et l’être s’endort dans l’inertie ; que toutes les doctrines en viennent au dualisme ; que les matérialistes donnent à l’atome étendu la force, parfois je ne sais quelle sensibilité virtuelle ; que les idéalistes finissent toujours par placer en face