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mantegazza. — transformation des forges psychiques

des arbres, dans les cristaux des roches et partout, comme l’hypocondriaque ne lit dans chaque objet de la nature que des images de mort.

Les idées plus intenses sont réveillées même par des idées fort légères, pourvu qu’il y ait entre elles des rapports d’analogie. Dans un cas d’extrême excitation, toutes les idées même lointaines réveillent l’idée du territoire cérébral qui se trouve en état d’irritation. Le jeune homme chaste voit dans chaque feuille, dans chaque fleur une image féminine, comme le religieux n’y voit que des objets d’adoration.

L’association se fait le plus souvent par analogie entre idées semblables, et c’est sur cette base que devrait s’appuyer la pédagogie. L’analogie des associations nous échappe souvent, parce que plusieurs anneaux intermédiaires se perdent en raison de la rapidité du passage d’une idée à l’autre.

Les associations sont d’autant plus nombreuses qu’il y a plus d’idées dans le cerveau. Essayez d’écrire un mot sur une ardoise, et notez toutes les idées qu’il provoquera dans cent écoliers de diverse intelligence et de diverse culture. Elles sont en outre d’autant plus rapides que les cellules nerveuses sont plus excitables. Voyez combien les associations sont hardies dans l’enthousiasme lyrique et comme elles sont lentes dans la tête d’un idiot ou d’un vieillard décrépit.

Les associations ont de plus un caractère esthétique, moral ou philosophique quand le cerveau a une organisation esthétique, morale ou philosophique. Des associations nombreuses, rapides, brillantes n’équivalent à rien moins qu’à beaucoup d’intelligence, peut-être à du génie. Des associations rares, lentes, désharmoniques équivalent à la médiocrité, à la stupidité, à l’incapacité de produire une œuvre d’art quelconque.

Des combinaisons diverses dans la valeur esthétique et morale, divers degrés de rapidité, d’éclat des associations représentent le monde esthétique d’une époque, d’une race, d’une génération. Tracer toutes les lois qui gouvernent l’association, la succession, la transformation des idées, c’est écrire la physiologie presque entière de la pensée humaine.


IX. — Là transformation d’une idée en sentiment est un phénomène très-rare. Les idées se réveillent dans notre cerveau tant que les cellules nerveuses sont capables de ce mouvement moléculaire qui porte le nom de pensée. Elles sont réveillées par association ou par des sensations extérieures. Si les idées sont du mouvement, elles pourront se transformer et s’étendre de proche en proche, et quelquefois elles se transforment par une voie peu coutumière, même en sentiment. On peut aimer ou haïr les idées, et ainsi est démontrée prati-