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les Juges : « Adoni-Bezek (le Cananéen) s’enfuit ; mais ils le poursuivirent, et, l’ayant saisi, ils lui coupèrent les pouces des mains et des pieds. Alors Adoni-Bezek dit : J’ai eu soixante et dix rois, dont les pouces des mains et des pieds avaient été coupés, qui recueillaient sous ma table ce qui en tombait. Dieu m’a rendu ce que j’avais fait aux autres. » (Juges, i, 6, 7.) De là vient qu’en divers endroits on coupait des doigts et on les offrait en gage de propitiation aux chefs vivants, ainsi qu’aux chefs morts et aux parents morts. Les sanguinaires Fidjiens, qui poussent à l’extrême leur fidélité à des despotes cannibales, nous en offrent plusieurs exemples. William raconte les suites d’une insulte. « Un messager, dit-il, fut envoyé au chef de l’auteur de l’offense, pour demander une explication, qui fut aussitôt donnée, et l’on y joignit les doigts de quatre personnes, pour apaiser le chef irrité. » Une autre fois, à la mort d’un chef, « on donna l’ordre de couper cent doigts ; mais on n’en coupa que soixante ; une femme perdit la vie à la suite de l’amputation. » Il est encore question de la main d’un enfant qui « était couverte de sang qui coulait du moignon, d’où peu de temps auparavant on avait coupé son petit doigt comme gage d’affection pour son père mort. » On rencontre ailleurs cette pratique propitiatoire envers les morts qui consiste à leur offrir des doigts coupés. Lorsque, chez les Charruas, le chef de la famille mourait, « les filles, sa veuve et ses sœurs mariées étaient obligées de se faire couper chacune une phalange d’un doigt, et l’on renouvelait l’amputation chaque fois qu’un parent du même rang venait à mourir. On commençait par le petit doigt. « Chez les Mandans, la façon habituelle d’exprimer la douleur que fait éprouver la perte d’un parent « consistait à perdre deux phalanges des petits doigts et quelquefois des autres ». On rencontrait chez les Dacotahs une autre coutume, ainsi que chez d’autres tribus américaines. Le sacrifice d’un doigt amputé qu’on fait à l’esprit d’un parent ou d’un chef décédés, pour exprimer la soumission qui les aurait apaisés s’ils eussent été vivants, devient ailleurs un sacrifice à l’esprit élevé au rang divin. « Pendant le cours de son initiation, le jeune guerrier mandan présente au grand Esprit le petit doigt de sa main gauche et lui exprime en quelques mots qu’il veut bien lui en faire le sacrifice ; puis il le pose sur le crâne desséché d’un bison, et un autre Mandan le lui tranche ras de la main d’un coup de hachette. » Selon Mariner, les naturels des îles Tonga se font couper une partie de leur petit doigt, en sacrifice aux dieux pour obtenir la guérison d’un parent malade.

Il semble que cette mutilation, qui exprime dans le principe la soumission à des êtres puissants vivants et morts, devient le signe