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qu’ils dépendent de. la faveur de l’empereur régnant. » Les Grecs, « arrivés à l’âge d’homme, portaient les cheveux plus longs, » et ils attachaient à la chevelure une certaine signification politique. Dans l’Europe septentrionale, aussi, chez les Francs… les serfs portaient les cheveux moins longs et moins bien soignés que les hommes libres ; ceux-ci les portaient moins longs que les nobles : « — La longue chevelure des rois francs est sacrée… C’est pour eux une marque et une prérogative honorable de la race royale. » Clotaire et Childebert, voulant se partager le royaume de leur frère, délibérèrent au sujet de leurs neveux, pour savoir « s’ils leur couperaient les cheveux de manière aies réduire au rang de sujets, ou s’ils les tueraient. » Nous pouvons citer l’exemple du Mikado du Japon, chez qui ce respect est poussé à l’extrême : « On ne lui coupe jamais les cheveux, ni la barbe, ni les ongles (de son aveu), pour que sa personne sacrée ne soit point mutilée. » On les lui coupe quand il est censé dormir.

On peut noter en passant une méthode analogue de marquer le rang divin. La longueur des cheveux, étant un signe de dignité terrestre, devient aussi le signe de dignité céleste. Les dieux des divers peuples, surtout les grands dieux, se distinguent par leur longue barbe et leur longue chevelure.

La subordination domestique a bien souvent, aussi, pour signe, des cheveux courts ; dans les états sociaux inférieurs, les femmes portent généralement cette marque de servitude. Turner nous dit qu’aux îles Samoa les femmes portaient les cheveux courts, et les hommes les cheveux longs. Parmi les races malayo-polynésiennes, les Tahitiens et les naturels de la Nouvelle-Zélande par exemple, on retrouve le même contraste. Il en est de même chez les Nigritos. « À la Nouvelle-Calédonie, les chefs et les hommes influents portent les cheveux longs et les nouent au-dessus de la tête, de manière à leur donner une forme demi-conique. Les femmes se coupent toutes les cheveux ras des oreilles. » C’est à leur tête tondue qu’on distingue aussi les femmes de l’île Tanna, de Lifu, de Nate, aussi les femmes tasmaniennes. On peut ajouter que la subordination filiale s’est affirmée par une expression analogue. Une partie de la cérémonie d’adoption en Europe consistait à sacrifier sa chevelure. « Charles Martel envoya Pépin, son fils, à Luitprand, roi des Lombards, pour que ce roi pût couper ses premières boucles de cheveux et, grâce à cette cérémonie, tenir dans l’avenir la place de son père. » Enfin Clovis, pour faire la paix avec Alaric, devint son fils adoptif, en lui offrant sa barbe à couper.

En même temps que cette mutilation devient le signe d’un assujettissement à une personne vivante, elle est devenue le signe d’une