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ANALYSESj. huber. — Die Forschung nach der Materie.

qu’ils existent ? Que sont-ils en eux-mêmes, une fois dépouillés de leurs apparences sensibles ? La physique leur attribue sans doute un grand nombre de qualités ; mais, en passant en revue ces qualités, on s’aperçoit qu’elles n’ont aucune, valeur objective. « Ces caractères, par lesquels la matière se révèle à nous, ne sont que nos sensations, que nous projetons hors de nous ou que nous objectivons, et dont nous revêtons l’x tout nu d’une chose en soi qui agit sur nous et produit en nous ces sensations elles-mêmes. La couleur et le son, l’odeur et la saveur, le chaud et le froid, le plaisir et la douleur ne sont que des états en nous ; l’espace même et le temps, bien que fondés objectivement, ont un caractère purement subjectif. En un mot, la chose en soi, conçue comme existant hors de nous, n’est qu’une position de notre pensée, nécessitée par la loi de la causalité. Les qualités mêmes, dont la science affirme l’objectivité, comme l’étendue, la forme, la porosité, l’élasticité, etc., etc., ne peuvent appartenir sans contradiction aux éléments des corps, aux facteurs essentiels de la matière, aux atomes en un mot, car elles sont la négation de l’atome… » L’atome considéré en lui-même apparaît enfin comme immatériel en quelque sorte, puisque les qualités de la matière ne lui conviennent pas. « L’étendue, l’impénétrabilité, les caractères manifestes de la matière, dit Lotze, ne sont que des réactions de forces répulsives, dont tout être qui peut occuper un point de l’espace est le sujet, sans qu’il soit nécessaire qu’il possède déjà en soi de l’étendue dans l’espace. Enfin les propriétés qualitatives des choses sensibles, la science elle-même les a reconnues pour des phénomènes subjectifs de notre esprit. Ainsi, il ne reste rien des caractères essentiels de la matière qui ne puisse apparaître comme une conséquence nécessaire de rapports donnés entre des substances immatérielles[1]. » Le concept lui-même de la masse se résout en celui de pures relations géométriques. Il n’y a pas à considérer autre chose au monde que des forces et leurs directions. Ce que l’on appelle la matière n’est qu’un phénomène de notre conscience sensible.

L’apparence de la nature se ramène donc à une somme de sensations. Ampère, Cauchy, Boscowich, Weber, Fechner, Wundt, etc., sont arrivés à ce résultat en analysant l’idée de matière. Bien loin de prétendre que l’esprit est produit par la matière, conçue comme un élément aveugle, il faut dire que c’est l’esprit, la faculté de penser, qui crée ce que nous appelons la matière.

Mais elle n’est pour nous que le côté extérieur d’un idéal ; elle enveloppe en elle un processus spirituel. Ces deux aspects d’une seule et même réalité ne doivent pas être séparés. Ce qui apparaît du dehors comme un changement de lieu est, au dedans, une tendance. Un choc correspond à une sensation. L’esprit et la matière sont les deux manières d’être d’un seul et même monde. Les atomes ou les monades

  1. Lotze, Principes généraux de physiologie psychologique. G. Baillière, 1876, p. 57.