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C’est un des points principaux par où il se sépare de Rousseau. « Vieux maître… Tu crois en Dieu, et je n’y crois pas, » dit-il dans sa dédicace. Peut-être eût-il suffi de poser en principe que la science politique doit se constituer, comme toutes les autres, en dehors de toute théologie, et maintenir soigneusement son indépendance à l’égard de tout dogme religieux. Cette simple déclaration, qui eût satisfait, sans plus de commentaires, tous les esprits scientifiques (l’auteur apparemment n’espère pas convaincre les théoriciens du droit divin), aurait remplacé avantageusement cet ardent chapitre de théodicée négative, nécessairement un peu superficiel. Revendiquer contre Aug. Comte les droits de la métaphysique, c’est fort bien ; affirmer qu’on ne peut penser avec un peu de profondeur sur aucun sujet sans être amené à se faire une métaphysique quelconque, c’est dire vrai ; mais faut-il pour cela se croire obligé de commencer toute science par une discussion métaphysique, par une déclaration de foi spiritualiste ou matérialiste, religieuse ou athée ? On dira qu’en politique ces questions ont une importance particulière, puisqu’en fait tel système politique découle de telle conception théologique. Mais est-ce que les astronomes débutent dans leurs traités par une critique des dogmes et des Écritures, sous prétexte que l’astronomie naissante s’est heurtée à des croyances ombrageuses ? La philosophie politique doit s’appliquer de même à se constituer positivement d’une manière exacte et systématique, sans s’attarder à ruiner telle métaphysique au profit de telle autre.

Par horreur de la théocratie et du droit divin, M. Acollas est donc détourné de la vraie méthode scientifique, perd du même coup le calme qui convient à la science. D’un bout à l’autre de son livre, on trouve plus de fougue que de sérénité, plus de hardiesse destructive que de puissance dogmatique, plus d’entrain à briser des idoles que d’efforts patients pour édifier un corps de doctrine.

Ainsi, « trois termes, selon lui, résument toute la science politique : 1° la Morale, — 2° l’Économie politique, — 3° le Droit. » Eh bien ! c’est en polémiste qu’il traite ces trois points tour à tour. Il aime tant la lutte, qu’il emprunte son plan même à l’antithèse de l’esprit scientifique et de l’esprit théologique : il prend plaisir à nous les montrer partout en conflit. Morale naturelle et scientifique : Sois libre ; — Respecte la liberté des autres ; — Aime les autres. Morale divine et théologique : dédain de la liberté ; négation de l’égalité ; oubli de la solidarité. De même, le « Droit naturel et scientifique » est opposé point par point au « Droit divin et théologique », — l’Économie politique « naturelle et scientifique » à l’Économie politique « divine et théologique ». L’auteur évidemment se donne ainsi toutes les apparences du parti pris, ce qui est toujours fâcheux, ce qui lui ôte nécessairement aussi un peu de crédit aux yeux d’un lecteur de sang-froid. Quand il a raison dans ce débat passionné, ce qui est fréquent, il ne fait guère que répéter ce qui a été dit bien souvent. D’autres fois, au contraire, il n’est peut-être pas entièrement juste, faute de nuances.