Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
revue philosophique

états analogues, la part qui revient à l’imagination. Mais il lui est arrivé, ce qui était peut-être inévitable, ce qui arrive souvent aux biographes, qui, obligés de suivre leur héros dans ses pérégrinations, s’attardent à nous décrire les pays qu’il a visités et les gens avec lesquels il a vécu : il s’est laissé entraîner à étudier trop longuement et dans la généralité de leurs caractères des états complexes dont l’imagination n’est pas seule à faire les frais. Il n’est que juste, d’ailleurs, de louer en elles-mêmes ces études attachantes, nourries de faits, soutenues par des emprunts perpétuels à ce riche répertoire d’observations qui a pour titre les Annales médico-psychologiques. Dans une série de discussions abondantes et sondes, l’auteur explique à merveille comment, dans certaines conditions, l’equilibre ordinaire des facultés se rompt en faveur de l’image ; comment, surexcitée et devenue suractive, l’imagination oc tantôt suspend les fonctions de la vie intellectuelle », comme dans le somnambulisme, « tantôt renverse l’ordre des facultés », sans les suspendre, comme dans les hallucinations et la folie.

Un des meilleurs chapitres de l’ouvrage, un de ceux où, s’enfermant résolument dans son sujet, M. Joly fait le plus complètement preuve de pénétration psychologique, c’est celui où, résumant ses premières recherches, il nous montre l’action des sens sur les images, et inversement la réaction des images sur les sens (VIIe chapitre). Le premier point est banal, mais, comme presque toutes les vérités de la psychologie, il peut être renouvelé par des observations plus précises. Nous objecterons seulement qu’il y a quelque inexactitude à présenter sur la même ligne l’action des sens, et celle du tempérament, des fonctions nutritives. Ces influences ne sont pas de même ordre : on ne saurait confondre l’intervention directe des sens, qui introduisent journellement dans l’imagination des fournées de représentations nouvelles, qui sont le principe immédiat et la condition nécessaire des images, avec l’influence éloignée de la santé, d’une bonne digestion, de la richesse ou de la pauvreté du tempérament. Dans le second cas, en effet, on n’a affaire qu’à des causes lointaines, qui agissent moins sur l’acquisition des images que sur leur retour et leur réapparition dans la conscience, et qui président seulement aux préférences instinctives ou aux choix réfléchis, grâce auxquels, dans l’ensemble des images déjà emmagasinées, se réveillent précisément celles qui sont conformes à notre état physiologique, à notre sensibilité, à nos dispositions mélancoliques ou riantes.

Ce qui est au contraire finement vu et détaillé, c’est l’action des images sur les sens, sur les mouvements du corps, sur les volontés de l’âme. « La seule imagination d’un acte incline à l’exécution de cet acte. » — « Il suffit d’imaginer une sensation pour l’éprouver en réalité. » — « La vue ou l’audition d’actes qui s’imposent à l’imagination poussent à l’exécution de ces mêmes actes ». — Voilà quelques-unes des lois nettement et fortement établies par M. Joly. Nous ne recon-