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ment des présents au sens littéral. Des animaux sont donnés au roi, tués sur les tombes, sacrifiés dans les temples ; des mets cuits sont fournis aux chefs, déposés sur les tombes, placés sur les autels ; les prémices des fruits sont également offertes aux chefs vivants, aux chefs morts, aux dieux ; ici de la bière, là du vin, ailleurs du chica, sont envoyés à un potentat visible et versés comme libation à une divinité invisible ; de l’encens, brûlé en quelques endroits devant des personnes de distinction, est brûlé devant les dieux en différents pays ; et, outre tous ces objets de consommation, des articles précieux de tout genre, offerts dans le but d’attirer les bonnes grâces, sont accumulés dans les trésors des rois et dans les temples des dieux.

Il y a encore une remarque importante à faire. Nous avons vu que le présent offert au chef était d’abord un acte de propitiation à cause de sa valeur intrinsèque, mais qu’il eut plus tard un effet propitiatoire extrinsèque, puisqu’il impliquait la soumission. De même les présents au maître invisible, considérés d’abord comme ayant une utilité directe, deviennent indirectement des témoignages d’obéissance, et leur signification secondaire donne ce caractère cérémoniel au sacrifice qui survit encore.


Maintenant nous arrivons à une conséquence importante. De même que le présent offert au chef se transforme dans la suite en revenu officiel, de même le présent offert au dieu se convertit dans la suite en revenu ecclésiastique.

Prenons comme point de départ cet état primitif où il n’existe aucune organisation définie, ni politique ni ecclésiastique, et où la dernière est représentée par le médecin, dont les fonctions consistent plutôt à chasser les mauvais esprits qu’à rendre propices les esprits faciles à apaiser. À ce moment, le présent offert à l’être surnaturel est souvent partagé entre ce dernier et ceux qui désirent obtenir sa faveur. Il règne une conjecture vague et confuse, selon laquelle l’être surnaturel prend une portion substantielle des aliments offerts ou se nourrit de leur prétendue essence spirituelle, tandis que les fidèles consomment l’enveloppe naturelle. Nous avons déjà indiqué à propos de quelques autres usages primitifs la signification de ce repas : en même temps que l’être surnaturel est rendu propice par l’offrande d’aliments, grâce à ce repas pris en commun, il s’établit entre lui et les fidèles un pacte impliquant, d’une part, protection, d’autre part, soumission. L’opinion primitive d’après laquelle les qualités d’un objet, inhérentes à toutes ses parties, sont acquises par ceux qui le consomment, et que, par conséquent, ceux qui