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herbert spencer. — études de sociologie.

R. K. Porter dit : « Pour me remercier d’un présent, un Persan se jeta par terre, baisa mes genoux et mes pieds et versa des larmes de joie qui étouffaient l’expression de sa reconnaissance. »

Baiser la main est une observance moins humiliante que celle de baiser les pieds, car cet acte peut être accompli sans une prosternation complète. Baiser les pieds implique qu’on approche la tête du sol, tandis que pour baiser la main il faut plus ou moins relever le corps. Cette différence est reconnue dans des régions très-éloignées l’une de l’autre. Dans le Tonga, « quand une personne salue un parent d’un rang supérieur, elle lui baise la main ; si ce parent est beaucoup supérieur, elle lui baise le pied. » D’Arvieux rapporte que les femmes qui servent les princesses arabes leur baisent les mains, quand celles-ci leur accordent la faveur de ne pas baiser leurs pieds ou le bord de leur robe. L’usage de cet hommage pour exprimer une soumission affectueuse est tellement répandu, qu’il est superflu de citer des exemples.

Mais si une personne, au lieu de baiser la main d’une autre, baise sa propre main en signe de salut, comment faut-il interpréter cet acte ? Est-il le symbole du premier, et faut-il le regarder comme en étant la reproduction la plus exacte possible dans les circonstances ? Cette induction paraît hardie, mais elle n’est pas dénuée de fondement. D’après d’Arvieux, cité par le professeur Paxton, « un oriental rend hommage à une personne d’un rang supérieur en lui baisant la main et en la portant à son front ; mais, si le supérieur est d’un caractère condescendant, il retirera sa main aussitôt que l’autre l’aura touchée ; ensuite l’inférieur portera ses propres doigts à ses lèvres et puis à son front. »

Cette citation démontre, je crois, que la coutume si répandue d’envoyer un baiser à une autre personne en baisant notre propre main exprimait originairement le désir ou la volonté de baiser la main de cette personne.

De même que les précédentes observances, celle-ci, après avoir été primitivement un acte spontané de propitiation du vaincu à l’égard du vainqueur, de l’esclave à l’égard du maître, du sujet à l’égard du souverain, et après être devenue, par extension et sous une forme modifiée, une propitiation sociale, se transforme aussi de bonne heure en une propitiation religieuse : ces actes d’amour et de tendresse se pratiquent à l’égard de l’esprit et de la divinité dérivée de cet esprit. Nous avons vu que les Hébreux, pour rendre hommage à une personne vivante, embrassaient ses pieds en même temps qu’ils les baisaient ; ce même acte est représenté sur les peintures murales égyptiennes comme un hommage rendu à la