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publiés sur la science du langage pendant les dernières vingt années. Pendant que nous poursuivons ces recherches, nous sentons que nous nous trouvons sur un sol ferme. Nous faisons tout simplement une analyse, et de la même manière que, dans une expérience chimique, nous arrivons à la fin à des résidus qui ne peuvent plus être décomposés, de même en matière de langage, après avoir expliqué tout ce qu’on pouvait expliquer de la croissance des mots, nous trouvons au fond de notre creuset certains éléments qu’il est impossible de résoudre en de plus simples. Il importe peu quels noms nous donnerons à ces résidus réfractaires, racines ou types phonétiques ou éléments de langage. Ce qui a de l’importance, c’est qu’après avoir éloigné tout ce qu’on pouvait éloigner, la croûte entière de la croissance historique des mots, après avoir séparé tous les composés, les affixes et les préfixes, il nous reste encore des substances simples, les résultats non pas de la spéculation synthétique, mais de l’analyse expérimentale. Ayant admis ces substances simples, nous pouvons aisément comprendre comment toute la richesse du langage, telle que nous la trouvons amassée en dictionnaires et en grammaires, en fut formée. Nous pouvons décomposer une langue et la reconstruire ensuite, par un des procédés d’analyse et de synthèse que j’ai tâché de représenter aussi clairement que possible dans mes Leçons sur la science du langage, publiées pour la première fois en 1861.

Les théories interjectionnelle et mimétique. — Les théories de l’origine du langage le plus généralement soutenues ont été jusqu’à maintenant : l’interjectionelle et la mimétique ou les théories de Pouh-pouh et de Baôu-vaôu. Selon la première, les racines sont dérivées des exclamations involontaires qui sont causées par des impressions puissantes. Selon la seconde, elles sont formées des imitations des sons naturels, comme l’aboiement des chiens, le rugissement des bêtes, etc. Dans mes Lectures sur la Philosophie du langage par {M. Darwin, j’ai essayé d’expliquer comment, avec de certaines modifications, les deux théories pourraient être défendues, non pas comme donnant des racines actuelles, encore moins des mots actuels, mais comme fournissant les matériaux dont les racines pourraient être formées. Mais les arguments contre cette théorie sont puissants. Il est parfaitement vrai comme le remarque M. Noire, que les plus simples sensations, qui selon notre opinion, pourraient être exprimées par des interjections ne sont jamais exprimées de cette manière, mais que le langage y par vient par le chemin le plus long. Avoir faim et avoir soif sont deux sensations bien primitives ; mais ont-elles été exprimées d’une manière interjectionnelle ?

Le mot faim reste jusqu’à ce moment sans aucune étymologie ; nous pourrions peut-être admettre qu’il est en connexion avec le mot sanskrit kars, dépérir, krisa, maigre, décharné, en allemand hager. Le mot latin esurio, dérivé d’edo, signifie je désire manger. Nous trouvons la même signification dans le mot sanskrit asanâyati, désirer de la