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espinas. — études de psychologie comparée

ment attaché au spiritualisme critique, et rien, jusqu’à ses derniers jours, n’a ébranlé sa foi dans l’origine à priori des concepts rationnels et particulièrement des idées morales ; mais en même temps, très-convaincu aussi des droits de l’expérience, il est l’un des premiers, le premier peut-être qui ait osé introduire les données physiologiques dans la psychologie et qui se soit soucié de rétablir l’harmonie entre les deux sciences qui étudient l’homme comme entre les deux principes antagoniques dont on le croit composé. Voilà deux titres qui, sans parler de la valeur de ses ouvrages, recommandent le nom de Tissot au souvenir des philosophes français contemporains. Son Anthropologie est de 1843. Il n’a pas cessé depuis de se tenir fort au courant des travaux biologiques qui pouvaient intéresser le psychologue : dans chacun de ses livres (l’Animisme, la Vie dans l’homme, l’Imagination, la Folie, etc.), on voit sa puissante érudition réunir pour les discuter ou s’en prévaloir tous les plus récents résultats des sciences naturelles. Cette Psychologie comparée, dont il n’a pu achever de corriger les épreuves et qui paraît après sa mort, nous le montre muni de faits et d’arguments qu’il venait de puiser à la hâte dans des ouvrages à peine publiés lors de sa dernière maladie. Le public français n’a pas toujours été pleinement juste envers lui ; rebuté par le caractère technique et par le défaut de charme littéraire de ses écrits, il ne leur faisait qu’un médiocre accueil ; c’était en Italie, en Allemagne que le modeste professeur, qui vivait très-retiré à Dijon, avait le plus de lecteurs. L’une de ses éditions, assez rapidement écoulée, ne laissa en France qu’un nombre insignifiant d’exemplaires. Notre école spiritualiste, dont il était l’un des maîtres distingués, bien qu’indépendant, tiendra certainement à honneur de défendre contre l’oubli l’œuvre de cet homme intègre, de ce chercheur infatigable, étranger à tout esprit de secte et à toute vue d’ambition.

La solution que Tissot adopte du problème de l’instinct n’offre rien de nouveau si on la regarde de loin et dans ses grandes lignes. C’est la solution spiritualiste, c’est-à-dire celle qui définit le fait instinctif « l’action de Dieu dans les êtres vivants par des causes secondes et suivant des lois générales ». Elle peut se résumer de la manière suivante. Bien que l’habileté dont l’animal fait preuve pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa progéniture simule la combinaison de moyens en vue de fins déterminées, qui est le propre de l’intelligence humaine, de l’intelligence raisonnable, cependant elle n’en est que l’analogue, parce que l’animal ignore le but auquel tend son action, et que dans la grande majorité des cas les connaissances, particulièrement les prévisions que cette action suppose, dépassent de beaucoup la portée connue de ses facultés. L’instinct