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écrit à son confesseur pour se repentir et s’humilier. Toute la scolastique et tout l’ascétisme, ajoute du Bois-Reymond, est dans ce trait : rupture au monde, croyance à un seul livre, que ce soit la Bible, Augustin, la gnose tirée de Platon, ou l’Encyclopédie, tirée d’Aristote. Et le moyen-âge reste un exemple de ce que devient l’esprit de l’homme, livré à lui-même, loin de la révélation de la nature. — Au sortir de ce temps, le retour à la réalité, à la vie, peut, certes, être appelé une « Renaissance » : c’est aussi « l’origine de la science moderne[1]. » Sous l’influence indirecte du génie antique, qui, pour n’avoir pas atteint lui-même à la science, n’en a pas moins été l’aiguillon des savants du quinzième et du seizième siècle, sous l’influence plus immédiate peut-être de la civilisation arabe, les idées scientifiques s’éveillent, la méthode d’induction et d’expérience se fonde. Voici les temps nouveaux. Peut-être, remarque du Bois-Reymond (et cette réflexion, qui d’abord paraît subtile, est seulement profonde[2]), peut-être la doctrine religieuse du moyen-âge n’a-t-elle pas été étrangère à la constitution de notre science présente. Livrés à eux-mêmes les anciens n’y avaient point réussi ; les Arabes, leurs héritiers en plus d’un point, s’ils ont été plus heureux, à quoi le doivent-ils ? Peut-être à la croyance qu’ils ont en commun avec les chrétiens : au monothéisme. Le monothéisme, religion une, sévère, sans complaisance pour les autres croyances, sans concession aux autres formes de la foi, le monothéisme qui aspire à la vérité, prétend la posséder et la répandre, apparaît ainsi comme l’ancêtre lointain d’une science qui, elle, de même, vise à l’unité, aspire au vrai, pour le connaître et en propager la notion. « Je suis venu au monde, disait le Christ, pour témoigner en faveur de la vérité. » Le cri de Faust[3] : « Il le faut, il le faut, dût-il m’en coûter la vie ! » ce cri est le dernier écho de la parole sacrée. La foi qui a inspiré l’ascétisme

  1. Der Ursprung der neueren Wissenschaft. (Discours, p. 227-229.)
  2. Il y a dans ces deux pages de du Bois-Reymond de quoi penser. — Il est assez embarrassé pour expliquer la Renaissance, puisqu’elle est, de l’accord commun, suscitée par l’évocation du génie antique, et qu’à ce génie antique, du Bois-Reymond vient de refuser le don de science. Tout attribuer à l’influence arabe, ce serait téméraire, d’autant que l’esprit sémite ne paraît pas, lui, non plus, un esprit très-scientifique. Du Bois-Reymond en vient à des suppositions bizarres : il se demande si l’esprit germain n’aurait pas joué un rôle à la Renaissance, et si, par exemple, il ne coulait pas un peu de sang allemand dans les veines de Galilée. — Ce qui reste frappant et profond, c’est l’idée de considérer le monothéisme comme un antécédent de la science moderne. Il y a là comme un pressentiment d’une loi historique qui peut-être un jour sera formulée et qu’il serait, dès à présent, permis d’appeler la loi des équivalents en histoire. Telle doctrine religieuse, chrétienne, le dogme de la prédestination, par exemple, serait l’équivalent historique de telle doctrine moderne, comme la loi de la conservation de la force.
  3. Faust de Gœthe. (Ier partie, tome I, édit. Prochaska, p. 22.) C’est le cri de Faust, quand il évoque l’Esprit de la terre.