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socialistes[1]. La doctrine a été développée dans toute son étendue un siècle avant Mahomet, sous le règne du roi persan Kobad, par le grand socialiste Mazdec, successeur de Manès[2]. Le Nouveau Testament et les écrits des premiers Pères, saint Ambroise par exemple, de la littérature classique et chrétienne, abondent en apologies du pauvre et du faible contre le riche et le fort. Les institutions de Crète et de Sparte, les lois de Minos et de Lycurgue, les petites républiques contemplatives des thérapeutes, les manifestations bruyantes des franciscains, les luttes sanguinaires de Th. Münzer et de Pfeifer, paraissent bien autrement significatives que les vides déclamations de Rousseau, de Morelly, de Bodson, de Babeuf, de Bressot de Warwille, que les grèves ou rixes suscitées par les Jacob Kats, les Lassalle, les Bebel, les Liebknecht. Si l’antiquité ne peut revendiquer des livres de la force de ceux de Saint-Simon, de Fourier, de Richard Owen, de Proudhon, de Mario, de Schultze-Delitsch, de Karl Marx, cela prouve qu’il y a progrès, au moins dans la manière dont ces puissants esprits ont abordé le problème du travail et du capital ; mais, de là à voir dans ce problème le caractère de notre époque, il y a loin.

L’auteur aborde dans les chapitres suivants la question de la science sociale. Existe-t-il une science sociale ? Quelle est la méthode de la science sociale ? La méthode expérimentale peut-elle s’y appliquer ? Qu’est-ce que la force ? Connaissons-nous autre chose que des rapports ? Est-il possible d’admettre le matérialisme ou le spiritualisme ? N’y a-t-il pas à côté du principe de causalité le principe de finalité ? etc.

Les réponses de l’auteur à ces questions sont des réponses banales ; insistant surtout sur l’impossibilité pour nous de connaître autre chose que des rapports il rejette le matérialisme et le spiritualisme, parce que, dépassant les limites de la connaissance, ils sont inacceptables (XXVIII et V). Il est regrettable de voir éternisées ces querelles de mots. Un matérialiste a-t-il jamais prétendu connaître de la matière autre chose que les lois, c’est-à-dire les rapports ? L’idée même de tout expliquer par elle n’implique-t-elle pas qu’elle ne s’explique pas par autre chose, et par conséquent qu’elle est inconnaissable ? L’idéaliste dit-il autre chose quand il parle de l’identité de l’esprit et de la nature ? Quand il prétend connaître l’esprit, ne parle-t-il pas d’une connaissance qui, n’ayant aucun rapport avec la connaissance positive, ne saurait accepter des critiques atteignant tout au plus des prétentions imaginaires à la science positive ?

Au lieu de voir des contradictions partout, M. Lilienfeld eût avantageusement cherché à mettre d’accord ses propres idées. Pour lui, la liberté est d’une part un principe inconnaissable, un, absolu comme les forces de la nature ; d’autre part, c’est un phénomène composé d’une quantité innombrable de coefficients. Comment l’auteur accorde-t-il ces

  1. de, 1867.
  2. Journal asiatique, 4e série, tome XVI, page 344-345.