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herbert spencer. — études de sociologie

mières phases de la période féodale, les titres baron, marquis, duc et comte étaient souvent confondus ; leurs attributions comme seigneurs féodaux, gardiens des marches, chefs militaires, et amis du roi étant à peu près les mêmes, elles ne pouvaient fournir matière à une distinction nette. Mais, à mesure que la différenciation des fonctions fut mieux déterminée, ces titres eurent une signification différente. « Le nom de baron, dit Chéruel, paraît avoir été le terme générique pour toute espèce de grand seigneur, celui de duc pour toute espèce de chef militaire, celui de comte et de marquis pour tout commandant d’un territoire. Ces titres sont employés à peu près indistinctement dans les romans de chevalerie. Lorsque la hiérarchie féodale fut constituée, le nom de baron désigna un seigneur d’un rang inférieur au comte et supérieur au simple chevalier. » C’est-à-dire qu’avec le progrès de l’organisation politique et quand il y eut des chefs au-dessus des chefs on donna aux supérieurs certains titres spéciaux outre ceux qui leur étaient communs avec leurs inférieurs.

Comme les cas cités plus haut le démontrent, les titres spéciaux, de même que les titres généraux, ne sont pas créés ; ils se développent ; ils sont d’abord descriptifs. Pour donner un autre exemple de cette origine descriptive et pour faire voir avec quelle indifférence on appliquait les titres dans les temps primitifs, énumérons les différents noms par lesquels les maires étaient désignés à l’époque mérovingienne ; on les appelait major domus regiœ, senior domus, princeps domus, et ailleurs prœpositus, prœfectus, rector, gubernator, moderator, dux, custos, subregulus. Par cette liste (notons en passant que le mot maire vient du latin major, signifiant ou plus grand ou plus âgé), nous voyons encore une fois comment les noms honorifiques nous ramènent à des mots désignant originairement une supériorité d’âge et comment les synonymes qui remplacent ces mots descriptifs indiquent des fonctions.

L’usage des titres montre peut-être le mieux comment, par suite de la diffusion, des formes cérémonielles employées d’abord pour s’attirer la faveur des hommes les plus puissants sont ensuite employées pour gagner celle des hommes moins puissants et enfin celle de tout le monde.

Les peuples non civilisés et à demi civilisés, les peuples civilisés des temps passés et ceux des temps modernes, tous nous fournissent des exemples. À Samoa, « tous les habitants, quand ils causent entre eux, se donnent l’un à l’autre par politesse le titre de chef. Si vous écoutez la conversation des petits garçons, vous les entendrez s’appeler l’un l’autre chef de ceci, de cela et d’autre chose. » À Siam,