Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
herbert spencer. — études de sociologie

L’histoire de France nous montre peut-être plus clairement qu’aucune autre les différentes phases de la diffusion. Remarquons d’abord que primitivement le titre de madame était réservé aux dames nobles, tandis que celui de mademoiselle était donné à la femme d’un avocat ou d’un médecin ; que plus tard, au xvie siècle, le titre de madame descendit aux femmes mariées appartenant à ces rangs intermédiaires, et celui de mademoiselle fut appliqué aux femmes non mariées. Voyons maintenant l’histoire des titres masculins sire, seigneur, sieur, monsieur. Au moyen âge sire désignait un seigneur noble ; en 1580, d’après une remarque de Montaigne, ce titre, quoiqu’appliqué encore dans un sens élevé au roi, était donné aux gens du vulgaire et n’était pas employé pour les degrés intermédiaires. Seigneur fut introduit plus tard, pendant que sire perdait sa signification en s’étendant ; employé pendant quelque temps concurremment à ce dernier, il se contracta dans la suite en sieur. Peu à peu, sieur s’étendit aussi aux hommes d’un rang inférieur. Plus tard, une nouvelle distinction fut établie à l’aide d’un préfixe emphatique, et monsieur vint en usage : ce titre, appliqué aux grands seigneurs, était nouveau en 1321 ; on l’attribua aux fils de rois et aux ducs. Peu à peu il s’étendit à toutes les classes supérieures, et sieur devint un titre bourgeois. Depuis cette époque, grâce au même processus, l’ancien sire et le sieur plus récent disparurent et furent remplacés par l’universel monsieur. Il paraît donc y avoir eu trois courants de diffusion : sire, sieur et monsieur se sont successivement étendus aux classes inférieures.

L’Espagne nous montre de la manière la plus frappante comment ce processus fait descendre les titres élevés dans les rangs infimes de la société. Dans ce pays, « même les mendiants se disent en s’abordant : Señor y caballero — Seigneur et chevalier. »

Nous indiquerons seulement pour mémoire comment ces faits contiennent la même leçon que les précédents. L’habitude des sauvages de conférer après une victoire remportée sur un ennemi, homme ou animal, des titres qui, soit par leur signification propre, soit par leur sens métaphorique, désignent un individu par un de ses exploits, a incontestablement sa source dans l’état militant. Quoique les noms plus généraux père, roi, seigneur, ancien et leurs dérivés postérieurs n’impliquent pas directement une origine militante, ils l’impliquent d’une façon indirecte, car ce sont des noms développés par l’activité militante ; ils appartiennent en effet à des chefs qui exercent ordinairement des fonctions militaires et qui dans les temps primitifs commandent toujours leurs sujets sur le champ de bataille. Nos titres même les plus familiers impliquent cette genèse.