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dérerai pas qu’une chance de gagner si faible doit être considérée comme pratiquement nulle, et que par suite mes 5 centimes doivent être regardés comme purement et simplement perdus. Je ne verrai que deux choses : une somme insignifiante à risquer, une somme énorme à gagner. Et la preuve, c’est que j’agirais absolument de même quand la somme à gagner ne serait que de 100 000 000 de francs, ou même de 1 000 000 de francs, ou même de 100 000 francs, la probabilité restant toujours la même, et pourtant dans ce dernier cas les conditions du pari deviendraient, au point de vue mathématique, monstrueusement injustes.

Au reste, ces dernières considérations se rapportent moins à la première question pesée qu’à la seconde, qui est de savoir si la probabilité mathématique mesure réellement le degré du doute. Peut-être trouvera-t-on d’une médiocre importance qu’en fait et dans la pratique elle le mesure ou ne le mesure pas. Il suffit qu’elle doive le mesurer. On dit : Dans la logique ordinaire, la certitude de la pensée et la réalité du fait sont choses en quelque sorte équivalentes ; quand il y a réellement une éclipse, je suis certain qu’il y a une éclipse (en observant d’une façon convenable) ; quand je suis certain (par l’observation et le calcul) qu’il y aura une éclipse, l’éclipsé se produit réellement ; pourquoi, dans la logique du hasard, ne pas suivre la même méthode ? pourquoi n’y aurait-il pas correspondance entre le degré du doute et la probabilité déduite de l’observation des faits ? L’analogie est impossible, parce que dans le domaine du certain la pensée est la représentation exacte du fait ; dans le domaine du probable, au contraire, le doute n’est pas la représentation de la probabilité, ni la probabilité la représentation du doute, bien que la considération de la probabilité ait sur le degré du doute une influence qu’on ne saurait méconnaître.

Il s’agit maintenant de reconnaître en quoi consiste cette influence ; c'est un point sur lequel M. Venn aurait pu nous donner un peu plus de développement. Admettons avec lui que, ni en fait ni en droit, la probabilité ne mesure le degré du doute ; toujours est-il, et M. Venn lui-même en convient, que la considération de la probabilité détermine au moins, dans une certaine mesure, le degré de mon doute. Comment se produit cette influence ? Je crois qu’elle s’exerce principalement par des comparaisons dont il est utile d’indiquer la nature.

Notre expérience familière nous fait considérer certains événements fortuits dont la probabilité est ou peut être déterminée et par rapport auxquels nous sommes dans un état de doute qui nous est bien connu. Je suppose que nous ayons à considérer un événement fortuit nouveau, c’est-à-dire qui ne rentre pas dans le champ de nos