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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/212

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I. La morale peut-elle recevoir la forme scientifique ? MM. Cousin et J. Simon, en faisant de la conscience un oracle infaillible qui décide immédiatement du caractère moral de chaque action en particulier, suppriment toute science de la morale, « La morale est simplement l’art d’interroger la conscience. » (J. Simon.) En effet la plupart de nos jugements moraux ne supposent ni de nombreuses expériences ni de longs raisonnements. Le vulgaire dont l’esprit n’est pas gâté par l’esprit de système et qui suit la simple nature apprécie souvent le bien et le mal, avec plus de rectitude que les casuistes de profession. Enfin la pureté de l’intention passant avant les conséquences de l’action, tout le devoir est d’agir selon la conscience. — À cela on répond (MM. Oudot, Wiart, etc.) que la conscience est manifestement sujette à faillir ; l’histoire de l’humanité est trop souvent l’histoire de ses aberrations. De plus, les arrêts qu’elle rend ne sont pas absolus et inexplicables ; ils se fondent sur des principes très-simples et peuvent varier avec la matière à laquelle ces principes s’appliquent. En dernier lieu, le bien vouloir a pour but le bien faire ; la morale a donc pour domaine le champ de l’activité humaine tout entière et comprend l’étude de la politique, de l’économie politique, et, en général, la science de l’homme individuel et social. — Voilà les deux thèses opposées. Voici comment M. Ferraz les concilie. Dans la morale générale, la conscience est souveraine ; dans la morale particulière, le raisonnement et la science sont indispensables pour éclairer le sentiment, sans le rendre d’ailleurs jamais inutile. En effet, pour les principes de la morale, la conscience les aperçoit par « intuition ». La moralité a ses axiomes, comme la géométrie, et la raison pratique est aussi absolue, aussi infaillible que la raison pure dans l’établissement des axiomes. Pour les devoirs particuliers, au contraire, le raisonnement seul peut déterminer les conditions d’application des principes. Par exemple, « les questions relatives aux personnes et aux biens, au travail et à la propriété, à l’éducation et au gouvernement dans leur rapport avec la moralité, ne peuvent être résolues sans une étude expérimentale et raisonnée des éléments qui les composent. » Il y a là « un point de vue nouveau », que l’auteur signale comme devant déterminer dans la science morale « une révolution immense dont la plupart des esprits philosophiques de nos jours ne semblent pas se douter » (p. 288-329).

Cette conclusion se rattache, comme on le voit, à la distinction de la morale générale et de la morale particulière. Or, si l’on substituait à cette division toute scolastique la distinction autrement profonde de la morale pure ou théorique et de la morale appliquée, on arriverait à prendre une idée plus exacte du rôle respectif de la science et de la conscience dans la direction de la vie humaine. Sans doute il est bien vrai que l’application de la morale à la science de l’humanité est une vue féconde et souvent méconnue de nos jours, car elle s’oppose directement aux considérations historiques que la philosophie de l’évolution consacre et propage. Mais la systématisation des devoirs et des droits